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    La dernière souffrance

Chapitre 2

Sous-chapitre A

Ce qui devrait être

Généralement, la première réaction que nous avons lorsque nous souffrons ou que nous vivons un sentiment inconfortable est celle de fuir ce qui est. Il est tout à fait normal de fuir, mais ce qui est normal n’est-il pas une norme, une façon habituelle de faire les choses ? Ainsi, cette réaction est une habitude acquise depuis notre naissance, habitude transmise par nos prédécesseurs qui n’ont jamais observé ce mouvement de fuite, cette échappatoire afin de ne pas demeurer avec la vérité du moment, ce sentiment présent, et ainsi le comprendre.

Qui plus est, nous cherchons constamment des nouveaux moyens, des nouvelles échappatoires, pour ne pas vivre de sentiments inconfortables dans notre vie et nous empêcher d’utiliser la véritable énergie créative. Nous voudrions prévenir à l’avance tout problème qui pourrait nous arriver et ceci nous le définissons par la sécurité et la paix. Quelle belle ignorance ne trouvez-vous pas ? Nous croyons vivre heureux sans être conscient de ce qui nous pousse à rechercher ces idéaux. Pouvons-nous observer ce processus en mouvement qui se nomme la peur ? Nous avons peur de vivre des incertitudes, donc nous désirons des certitudes pour pouvoir vivre des scénarios identiques, des répétitions de sensations agréables et sécurisantes au fil du temps. Nous cherchons la permanence et la seule vérité qui existe est la non permanence. Les certitudes sont du domaine du passé.

Ce qui est normal n’est pas ce qui est naturel. Lorsque des groupes agissent de la même façon, ceci crée un certain ordre, une certaine norme qui fonctionne pour ce groupe ou ce système. En vérité, ce qui est naturel n’a pas besoin de système ou de norme pour vivre et se faire dicter sa conduite pour satisfaire les désirs de ceux qui dirigent. La nature n’est pas une norme de ce qui devrait être, la nature est ce qui est et nous faisons partie de la nature.

La peur est ce que nous sommes lorsque nous fuyons ce qui est pour chercher à réaliser ce qui devrait être. Lorsque des milliards d’individus suivent ce processus, alors nous pouvons y croire profondément pour produire une norme, une croyance, une tradition, un système, un conditionnement puissant, que ceci doit être la vérité. Cependant, si nous observons ce qui se passe sur notre planète depuis des milliers d’années, il est facile de voir que ce processus n’a pas véritablement amélioré nos conditions. Nous tuons plus facilement, nous avons encore des guerres entre les nations, les religions et les races, des millions d’enfants meurent de faim chaque jour, les riches deviennent de plus en plus riches, nous souffrons énormément et nos problèmes sont de plus en plus nombreux.

Ce mouvement qui désir obtenir une fin future afin de ne pas être avec ce qui est, est ce que nous sommes actuellement. Nous sommes la peur et pour comprendre quelque chose, nous devons ne pas s’éloigner d’elle afin de comprendre et connaître tous les recoins conscients et inconscients de ce que la peur est. Nous sommes tellement superficiels et c’est la raison par laquelle nous jugeons et pour juger nous sommes des experts. Le jugement se produit lorsque nous n’avons pas l’intention de comprendre ce qui est, ce que la vérité est.

J’aimerais qu’ensemble nous abordions un sujet très délicat et peut-être de là, prendre conscience de ce que le temps joue comme rôle dans nos vies. Cette notion du temps nous a été inculquée très jeune et sans y porter grande attention. Nos croyances collectives sont très profondes concernant cette structure et nous n’avons jamais pris la peine de comprendre en profondeur sa signification dans notre existence. Ainsi, le temps pour nous est une certitude dans nos habitudes. Je conviens que le temps est nécessaire pour apprendre une langue, une technique, une construction, par contre, est-ce que le temps est nécessaire pour être, devenir ? Pour apprendre un savoir-faire, le temps est indispensable ainsi que le temps des montres pour coordonner nos rendez-vous. Mais avons-nous besoin de temps pour être, devenir ? Je ne sais pas si vous saisissez la pleine signification de cette différence.

Nous souffrons et croyons qu’avec du temps nous pourrions être en paix ? Nous pensons qu’une accumulation de connaissance, de biens ou de mots réconfortants pourraient nous libérer de la souffrance. La souffrance est en nous et quoi que nous fassions, elle y restera, car c’est ce mouvement de « faire » qui est la souffrance lorsque nous cherchons à produire des états d’être. Ce mouvement qui ne respecte pas, qui fuit ce qui est pour chercher ou devenir ce qui devrait être. Ainsi nous sommes attachés inconsciemment à poursuivre ce qui devrait être, soit une illusion, un rêve de posséder des objets qui nous conditionnent à vivre selon des images, des symboles que nous idolâtrons et qui nous procurent des sensations agréables et sécurisantes. La poursuite et l’acquisition de ces rêves créent l’ego, soit l’image ou l’estime de soi. La souffrance ne peut-être comprise que si nous demeurons avec elle en ayant l’intention de comprendre. Cette action sans réaction nous transforme sans effort, sans résistance et sans lutte.

Combien de fois avons-nous entendu le fait de chercher à s’estimer d’avantage, à devenir une meilleure personne, devenir heureux, chercher la paix, de réaliser nos rêves, d’accomplir nos buts, d’avoir du succès ou réussir et d’obtenir de la vie tout ce que nous désirons ? En vérité, nous donnons encore plus de force à notre ego, causant alors des divisions, des guerres et des séparations entre-nous afin d’être concentrées sur nos désirs égocentriques. Je ne dis pas de ne pas avoir de désirs, mais d’être attentif à ce qui est et le mouvement que nous faisons pour le fuir.

Oublier ce qui est pour viser ce qui devrait être est ce qui engendre la souffrance. Il est très agréable d’obtenir l’objet de nos désirs, mais il est très désagréable de tenter de revivre la sensation et s’apercevoir que nous ne pouvons pas y arriver quoi que nous fassions. Le plaisir est toujours associer à la souffrance, car il est de courte durée et nous voudrions une continuité dans le temps. Comprendre profondément la structure du plaisir et de la souffrance est une grande paix.

Le temps est ce qui est relatif à l’espace, c’est l’intervalle ou l’espace entre deux choses. Pour les objets physiques c’est une évidence, mais l’est-il pour les choses non physiques ? Nous croyons qu’il faut aller d’un point à l’autre comme de fuir ce qui est vers ce qui devrait être. En vérité, lorsque tout est mouvement, ne suffit-il pas de ne pas bouger pour que la chose désirée nous rencontre ? Si nous cherchons quelqu’un en forêt et que lui-même nous cherche, que pourrait-il se produire ? Pourtant, il est beaucoup plus facile de voir un objet que de « voir », comprendre quelque chose d’invisible. Ainsi, chercher à devenir en utilisant le mouvement de la pensée, qui est le désir, sans prendre conscience de cette structure du temps, va créer et recréer nos souffrances.

L’information de toute chose est constamment en mouvement incroyablement rapide, plus rapide que la lumière, et se déplace dans un champs invisible que nous identifions comme étant l’univers. Pour l’utiliser, nous avons à prendre conscience que tout est mouvement, que les objets physiques bougent constamment même si en apparence ils semblent inertes. Les êtres vivant ont la faculté de se mouvoir au moyen de la conscience de la liberté (conscient ou inconscient) ou de l’instinct et ainsi ils peuvent créer des illusions que les roches par exemple, sont statiques par rapport à eux. En vérité, nous bougeons tous sur cette planète qui se déplace dans ce champ universel.

Nous utilisons le désir pour créer nos choix physiques, par contre, nous croyons devoir utiliser ce même mouvement de temps pour créer notre être, pour devenir. Il y a une confusion ici, car nous ne voyons pas la différence entre ces deux dimensions. Une physique, limitée ou tout bouge dans la même direction que nous-mêmes créant alors une illusion que rien ne bouge. Alors pour aller d’un point à un autre, nous devons « faire » quelque chose pour y arriver ou pour « avoir ». Une autre métaphysique, illimitée ou tout bouge dans toutes les directions de façon invisible créant alors une vérité que nous devons « rien faire » pour faire entrer en nous un nouvel état d’être.

Nous pénétrons alors cette dimension de l’être par la même approche, le même point de vue que celle physique des objets ou des corps. Nous croyons qu’il est nécessaire de faire quelque chose pour enlever la souffrance dans nos vies. Nous cherchons l’amour, la paix, le bonheur, la joie, sans comprendre que ces états d’être n’ont pas d’opposés comme dans la dimension physique, mais nous en inventons pour y croire ensuite. Je le répète, il n’y a pas d’opposées et de contradictions dans la dimension de l’absolue, de l’être. Comprendre le temps, qui est l’espace entre les objets, nous permet de saisir une vérité profonde concernant le monde relatif des objets physiques et le monde absolu de l’amour ou l’être. Le temps existe dans le domaine physique et il n’existe pas dans le domaine absolu. Notre être total vit actuellement parmi ces deux dimensions. Voilà pourquoi nous ne pouvons pas « devenir » quelqu’un d’autre dans le futur. Nous ne pouvons pas devenir en paix ou heureux ou tout autre état d’être en cherchant à faire quelque chose.

Ce qui devrait être appartient au domaine du temps, donc de la dimension du relatif et non de l’absolu. Nous souffrons parce que nous cherchons des états être à obtenir au moyen d’un processus « à faire » qui n’est pas de la même dimension. Nous cherchons le bonheur ou à devenir heureux toute notre vie sans jamais l’être, car « être » n’est pas une fin, un but visé dans le futur. Il n’appartient pas à cette dimension.

La confusion consiste à croire à une seule dimension et non à voir ou comprendre l’existence d’une autre dimension.

Ce qui devrait être est simplement l’activité, le mouvement du désir qui cherche une fin, un but, un rêve, un objet pour satisfaire son plaisir. Ce désir est né par la pensée qui crée des images de sensations, ce que nous définissons par l’imagination, que nos sens ont perçu dans le passé et les conditionnements de l’environnement nous entourant. Notre ego se développe par les objets, les résultats des désirs obtenus. Ces résultats sont nos possessions et sans elles, nous croyons, nous avons peur d’être rien du tout. En vérité, nous sommes possédés par nos possessions. Le verbe avoir est devenu notre idéal, tandis que le verbe faire est le moyen de parvenir à nos fins.

Plus nous avons des biens, des connaissances et du pouvoir, plus nous croyons être des gagnants, des gens qui réussissent, des gens importants, heureux et en paix. Mais qu’est-ce qui peut bien pousser une personne qui a déjà un milliard de dollars à acquérir plus d’argent ? Pourquoi les gens au pouvoir en veulent-ils plus ? Pourquoi ceux qui ont accumulé beaucoup d’instructions en demandent-ils davantage ? Pourquoi les gens en sécurité désirent-ils plus de sécurité ?

N’est-il pas important de comprendre ce mouvement du désir égocentrique qui cherche continuellement à posséder encore plus, sans jamais observer ce qu’il est en ce moment ? Qu’est-ce qui engendre en nous ce désir d’avoir plus, davantage ? Ceux qui affirment que c’est la nature des êtres humains sont dans la confusion extrême, car affirmer une certitude sur ce qui est c’est porter un jugement, une réponse superficielle pour protéger le fait de peut-être se tromper. C’est un ego qui a peur d’avoir tort et ainsi protéger son image. L’image de soi n’est pas l’être, mais l’ego.

Nous sommes insensibles, car nous limitons nos sensations de l’instant présent par l’usage d’un ou deux de nos cinq sens. Nous ne sommes pas entiers, mais fragmentés, superficiels concernant l’information qui pénètre en nous à chaque instant. Nous observons un arbre et le seul sens qui agit à l’instant est notre vue. Notre esprit capte une seule sensation et ainsi nous limitons notre attention à cette relation. Même notre observation est faussée par nos nombreuses croyances qui nous empêchent de voir sans préjugés et sans déformations l’instant présent. Ainsi, nous devenons des êtres insensibles et indifférents à tout ce qui nous entoure y compris les êtres humains et la nature. Ce qui nous intéresse est le fait de posséder, d’avoir pour montrer combien nous sommes importants.

Chercher à devenir, à s’améliorer ou s’accomplir est une fuite pour ne pas comprendre la vérité du moment présent. Cette vérité qui est tout simplement la peur. Nous vivons parmi deux dimensions, soit celle de l’absolue ou de l’amour qui est ce que nous sommes et celle relative qui est ce que nous ne sommes pas ou la peur, mais qui doit exister pour pouvoir faire entrer librement en existence dans notre conscience ce qui est absolu. Chercher à devenir au moyen du domaine relatif est toujours et sera toujours ce que la peur est. En définitif, nous donnons plus de force à ce que l’ego est en croyant devoir faire quelque chose pour être heureux ou n’importe quel état d’être.

Sans la compréhension profonde de la peur, la souffrance doit exister. La dernière souffrance  consiste à ne pas fuir ce qui est, ne pas fuir ce que nous sommes, ne pas fuir nos états d’être inconfortables actuels pour pouvoir les comprendre dans l’actualité présente sans jugement et c’est alors que l’inconnu, le neuf pourrait entrer en existence.


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