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    La dernière souffrance

Chapitre 4

Sous-chapitre D

La pensée juste

Chacun de nous a une image de ce que nous voudrions être et cette image fait obstacle à ce qui est, à ce que nous sommes. Cette image nous désirons la protéger, car elle est ce que nous croyons être. L’image n’est pas l’être, elle est une construction de ce qui est vers ce qui devrait être, donc un mouvement qui consiste à s’éloigner de nous-mêmes. Comment pouvons-nous affirmer que nous savons qui nous sommes ? De même, aussitôt que nous disons « je me connais » nous avons cessé toute compréhension de soi, toute évolution. En réalité. S’il n’y a aucun point d’appui, aucune certitude, on est libre de se voir tel que l’on est. La personne pleine d’assurance est une personne morte qui vit dans le connu et le confort, elle ne peut donc pas évoluer totalement.

Nous sommes tous conditionnés, programmés à fuir vers des idéaux, alors la question essentielle pour pouvoir penser juste n’est pas de quelle façon fais-je faire pour me libérer de ces conditionnements, mais suis-je conscient que je suis conditionné ? Chercher à fuir notre conditionnement est encore le même mouvement qui fuit n’est-ce pas ? Donc, le résultat sera un autre conditionnement qui procure une satisfaction, une sensation agréable.

Mais comment fait-on pour prendre conscience qu’on est conditionné ? Sûrement pas lorsque tout est confortable pour nous. N’est-ce pas quand nous souffrons, quand notre sécurité et nos plaisirs sont discontinués ? Nous sommes prisonniers de nos habitudes confortables et alors on ne peut rencontrer la souffrance, la solitude, l’ennui, la confusion ou la peur pour la comprendre directement. Notre plus profonde habitude est celle de fuir, d’avoir peur, lorsqu’un sentiment inconfortable se produit en nous. Comment comprendre nos problèmes lorsque nous les fuyons inconsciemment ? Il me semble que ce qui est important est de comprendre la vérité actuelle et non les illusions ou les idées abstraites.

Ainsi, penser juste n’est pas de savoir comment penser juste, mais de comprendre ce que la pensée est et tous les mouvements que nous faisons pour fuir la vérité, donc il ne peut y avoir de penser juste sans la connaissance de soi dans nos relations quotidiennes avec les gens, les choses et les idées.

Bien que la mémoire soit importante, est-elle nécessaire dans les relations entre-nous ? Il est important ici de discerner que nous ne discutons pas de connaissances techniques ou pratiques en ce moment. Disons ceci de cette manière, je vous ai vu il y a une semaine et j’ai été blessé ou j’ai apprécié vos propos, alors je vous revois avec cette image que j’ai de vous et ce n’est plus avec un être humain que je suis en relation, mais avec l’image, la croyance, la mémoire que j’ai à votre sujet. Maintenant, qu’en est-il de l’autre personne ? Pense-t-elle de la même façon que nous ? En réalité, nous ne sommes pas en relation avec la vérité, le neuf qui est toujours changeant à chaque instant. Nos relations actuelles reposent sur des images que nous jugeons d’agréables ou de désagréables. Faute de compréhension de cette vérité, nous recréons des conflits qui engendrent la souffrance, car nous abordons la relation avec le passé connu et fuyons tout ce qui est en dehors de notre compréhension, qui elle est simplement notre confort, notre accord avec l’image passée. Si elle nous plaît, nous l’acceptons et si elle nous déplait, nous la rejetons. Nous parlons de valeurs, mais elles représentent nos croyances, nos certitudes concernant le connu. Notre pensée ne peut pas être juste, si sa base nous empêche de comprendre et voir autre chose que nos vieilles certitudes que nous voudrions protéger et garder intactes, car nous sommes à l’aise dans ce que nous connaissons. Comment pouvons-nous évoluer lorsque tout ce qui nous intéresse est de fuir l’inconnu au moyen du connu que nous voudrions répéter ?

Nous souffrons et nous voudrions répéter la cause qui crée cette même souffrance ? Comment pouvons-nous être libérés de la souffrance quand nous sommes attachés par ce mouvement ? Ne le voyez-vous pas ? C’est ce mouvement qui fuit ce qui est vers ce qui devrait être qui est source de souffrance ? Le ce qui « est » est nous, notre être et nous voudrions ne plus être ce que nous sommes ? Nous voudrions devenir ce que nous ne sommes pas ? Nous avons peur d’être avec soi-même, nous sommes la peur, la souffrance, l’amour, la joie, la paix, la colère, il suffit de comprendre ce que nous sommes et non le fuir en contredisant qui nous sommes vers qui nous devrions être. Ce sont les mots qui apportent la confusion, car ils font obstacles à ce qui est. Les mots sont des symboles et non des vérités. Nous croyons que les mots vont agir sur la cause, sur nous. Avez-vous déjà vu un mot, qui est une pensée exprimée, créer ce qu’il représente ? Parler constamment de bonheur n’est pas le bonheur, nous avons à être heureux en pensée, parole et action afin de sentir ce que le bonheur ou la joie est et non ce que le plaisir est. Jamais nous sommes attentifs à ce que nous vivons, car c’est dans le silence que nous pouvons nous voir tels que nous sommes. La pensée et la parole doivent se taire pour que le neuf, le vrai entre en existence.

En vérité, nous sommes conditionnés à penser selon ce que les autres nous ont enseigné, alors ce que nous pensons n’est pas selon ce que nous choisissons et exprimons librement. Ainsi, notre esprit, cet outil extraordinaire de création que nous possédons, n’est pas utilisé en toute liberté pour prendre conscience de qui nous sommes au moyen des créations nouvelles que nous désirons expérimenter, mais selon les obligations que notre société nous a imposés afin de produire des résultats pour avantager le plus petit nombre, soit les riches et les puissants qui veulent contrôler les autres pour satisfaire leurs petits désirs égoïstes.

Il n’y a pas de pensée juste sans la compréhension continuelle de ce que nous sommes. Si nous ne sommes pas conscients de ce que nous vivons à chaque instant, alors notre vie est faites de mensonges et d’illusions concernant ce qui nous arrive. La souffrance est un effet de notre façon de penser et cette façon de penser, qui est le produit de notre mémoire, est le résultat de la conscience d’être.

Donc, qu’est-ce que la conscience d’être ? N’est-ce pas de comprendre la totalité de ce que nous sommes conscients et inconscients de faire ? J’utilise ici le mot faire pour définir ce que nous pensons, disons et agissons. Notre esprit n’est pas séparé entre deux éléments que nous identifions le conscient et le subconscient, il est un seul élément dans le champ total de la conscience de notre être, de qui nous sommes. Le séparé est une façon rusée et habile pour justifier sans comprendre ce qui est. L’évolution de notre être repose sur ce que nous prenons conscience et non de prouver notre savoir en étiquetant les choses selon des compartiments et ainsi croire que nous savons. Une des formes de distraction les plus observées dans notre monde, est celle d’accumuler des mots et des définitions pour « parler » et montrer que nous savons.

Lorsque nous commençons à voir les illusions que l’homme a créées, les masques ou rôles qu’ils projètent pour cacher ce qu’il est intérieurement et voir sans distorsion le faux sans le juger, c’est alors que la lucidité, la clarté pénètre en nous. La pensée juste n’est pas une façon de penser, mais la compréhension de notre processus de la pensée. Je le répète, la pensée juste n’est pas une façon de penser ou une accumulation de mots. Une façon est toujours un moyen limité en vue d’arriver à une fin, tandis que le processus de penser n’a pas de but final visé. Comment la pensée peut-elle comprendre la pensée ? Elle va chercher à se protéger par des constructions habiles, des excuses et des fuites pour ne pas voir ce qui est faux en elle. La pensée fait partie du moyen que nous désirons changer, alors l’ego ne veut pas changer ce moyen même si nous parlons constamment de changement. La pensée doit être comprise et non dominée ou changée.

Quand notre pensée ne cherche plus à l’extérieur, mais accepte l’inconnu, le neuf en toute vérité, alors cet esprit n’est plus individuel, il devient évolutif vers une conscience universelle.

Il y a transformation en nous lorsque nous voyons et prenons conscience nous-mêmes du faux de notre pensée et de nos comportements faux. Nous devons nous observer, nous voir tels que nous sommes sans porter de jugement. Il en est de même pour les autres, nous ne pouvons pas changer une façon de penser ou de faire aux autres tant que nous n’arrêterons pas de chercher à les changer au moyen des mots. Les gens doivent en prendre conscience en toute liberté. Vous ne pouvez pas vous libérer de la souffrance si quelqu’un vous impose ou si vous aller chercher des solutions chez les autres. Dans les deux cas, il y a une forme de pouvoir sur vous et ceci empêche la liberté de circuler sans vous en rendre compte. Les mots habiles et l’instruction importante ne peuvent rien faire pour vous. Sans la perception de la vérité et sans distorsion, il ne peut y avoir de penser juste.

Lorsque nous sommes en conflit avec quelqu’un, celui qui comprend profondément ce qu’il est ne cherche pas à gagner, mais a plutôt l’intention de ne pas se disputer et comprendre ensemble ce qui se passe. Il y a dispute lorsque deux personnes sont inconscientes d’eux-mêmes et de ce qu’ils sont entrain de faire en ce moment. La vérité est qu’il n’y a pas de dispute en étant seul à se disputer, le voyez-vous ?

Celui qui est conscient de lui-même est responsable de la relation en ne créant pas de mémoire ou d’image dans l’esprit de l’autre. Ceci ne veut pas dire de se faire abuser, mais d’informer et de demeurer avec les faits présents sans les déformer au moyen des mots et des affirmations qui sont des tentatives pour gagner son point de vue. Il est évident que l’autre pourrait sentir quelque chose de très inconfortable, par contre, la vérité l’est lorsque nous cherchons à la fuir et qu’elle nous est remise au moyen de question pour actualiser l’information.

Nous pouvons facilement voir le mouvement d’une personne inconsciente qui projette sans s’en rendre compte, des affirmations, des accusations, des jugements et des justifications afin de ramener le passé confortable de ses propres croyances. Voilà pourquoi la relation est très difficile avec quelqu’un qui ne s’aime pas ou n’a pas l’intention de se connaître tel qu’il est. Nous ne sommes pas obligés d’être en relation avec un autre qui ne désire pas bien s’entendre. Cependant, il n’y a pas de souffrance créée en nous lorsque nous avons l’intention de comprendre notre relation et si l’autre préfère continuer à se disputer, il nous importe de ne pas chercher à fuir cette situation, mais de l’utiliser comme occasion pour pouvoir comprendre en « questionnant » l’autre lorsque des paroles sont exprimées pour tenter de nous faire sentir coupable. Si nous demeurons avec ce qui est, aucune culpabilité sera ressentie et alors nous verrons l’autre chercher à fuir, à éviter d’être avec la vérité, nous sommes la vérité quand nous restons avec le moment présent pour comprendre la relation.

La souffrance est l’inconscience de se connaître en relation avec les gens, les choses et les idées. Ne pas avoir l’intention de se connaître, c’est chercher à juger ce qui est selon ce qui devrait être ou a été.

La pensée juste ne peut pas être recherchée selon des livres, des pratiques, des principes ou des théories, mais elle entre en existence lorsque nous voyons notre ignorance dans nos relations et le mouvement confus de notre pensée conditionnée à fuir ce qui est.


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