Conte-5001

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Conte de Hervé Poirine, France

 

Je n’ai jamais tué que par amour, par amour des femmes…

La première fois, je me souviens, j’avais douze ans.

Elle s’appelait Claire et était ma voisine en classe. Je l’adorais sans qu’elle le sache, je la couvrais de mon regard et de mes baisers secrets. Elle était blonde avec des taches de rousseur sur son nez et un sourire cajoleur.

Mais elle ne m’aimait pas : elle aimait ce crétin de Franck, ce prétentieux qui raflait toutes les médailles en sport, ce fort en gueule pour qui je n’étais même pas un insecte, qui se moquait de tout le monde sauf de sa propre image qu’il aimait regarder dans les yeux de ceux et de celles qui l’admiraient, et en particulier, Claire, au premier rang.

Que pouvais-je faire ? Il n’y avait pas d’autres solutions que de la supprimer, elle m’avait brisé le cœur et n’en briserait jamais d’autres.

Aussi quand les freins de son vélo ont lâché et qu’elle a percuté le camion au croisement de l’école, je me suis senti mieux, surtout quand j’ai vu la gueule défaite de cet imbécile de Franck qui pleurait comme un bébé.

La seconde, c’est cinq ans plus tard.

Dix-sept ans, le bel âge, les envies et les frustrations, toute la vie devant soi, mais ne sachant que faire, car c’est la découverte de son corps, de ses pensées qui se forgent lentement avec les paradoxes qui les accompagnent.

Marie était en terminale avec moi. Nous partagions ensemble la passion du ciné et nous avons vu de nombreux films tous les deux. J’aimais son parfum dans les salles obscures, j’aimais quand elle me serrait la main pendant les scènes trop intenses de films d’horreur, j’aimais quand je l’entendais doucement verser une larme sur une histoire d’amour : je l’aimais.

Nous parlions beaucoup, tous les deux, nous partagions l’histoire de nos vies (moins quelques détails…) de nos passions, et j’ai eu plus d’une fois la volonté de la prendre dans mes bras, mais encore peu expérimenté des choses du sexe, je n’osais pas et je l’adulais comme une déesse.

C’est quand elle a rencontré Patrick que ça a mal tourné.

Patrick, élève de terminale lui aussi, mais dans une autre classe que la nôtre, n’avait pas été insensible aux charmes de Marie. Il était loin d’être un idiot et avait une grande sensibilité, s’intéressait aussi au cinéma, et en discutait avec nous. Marie tomba rapidement amoureuse et quand je lui en fis la remarque, elle m’en voulut et me dit que c’était son histoire et que je n’avais pas à m’en mêler, que je restais son meilleur ami, et qu’entre nous, ce genre de relation n’aurait pu exister.

Nous étions dans l’appartement que lui avaient loué ses parents, et l’immeuble était vide à cette heure.

Si des archéologues décident de faire un jour des fouilles dans les caves, ils retrouveront sûrement un squelette de sexe féminin dont le crâne défoncé laisserait penser à un homicide…

Et puis les choses accélérèrent.

Il y eut Brigitte qui m’avait toujours fait croire qu’elle m’aimait alors qu’elle menait une double vie : une belle journée près des falaises d’Etretat eut tôt fait de nous séparer à jamais.

Sylvie, si sensuelle, qui m’appris beaucoup de l’amour, mais que je n’aimais pas et c’est pour cela qu’elle s’est retrouvée pendue dans son grenier avec un courrier expliquant son geste et signé de sa main (j’ai eu du mal à imiter sa signature, mais les policiers n’y ont vu que du feu, et en plus, la lettre m’était adressée, moi, son meilleur ami…).

Julie, pour rien, pour le plaisir, découpée en dés et goûtée sur plusieurs repas. Elle était allemande et n’avait pas de famille, ce fut facile de la faire disparaître.

Myriam, grande fille du sud avec son accent méridional qui me donnait du soleil, mais qui ne pensait qu’à sa carrière et qui ne s’occupait plus de moi : rupture d’anévrisme (je commençais à devenir calé dans tous les poisons existants).

Sophia, enjouée et mutine, dont les jeux érotiques n’avaient plus de fin, dont la satiété sexuelle m’étonnait, tant et si bien qu’elle cru me faire plaisir en m’emmenant dans cette boîte échangiste : le portier, saoul comme un cochon, a bien vu l’agresseur qui lui a tiré dessus et s’est enfui en courant en lui piquant son sac.

Et puis sans parler de toutes ces prostituées, pour ne pas perdre la main, ces auto-stoppeuses confiantes, ces femmes au foyer s’ennuyant de leur journée, que de stratagèmes j’ai dû monter pour m’en tirer.

Non, ne pleure pas et ne tente pas de te libérer de tes liens, ça ne servirait à rien, tu sais. J’ai acquis l’expérience des nœuds qui ne se voient pas, même chez les flics, et j’utilise toujours le même adhésif pour les baillons. Ne me regarde pas avec ces yeux affolés, si je te raconte mon histoire, c’est pour que tu comprennes que je ne t’en veux pas, et qu’en fait, j’aime ça, tuer et que je t’aime aussi, quelque part.

Si tu savais comme ça me libère de vous voir souffrir autant, comme un sportif qui réalise un exploit et qui se sent bien après.

Je suis un artiste dans mon genre, tu sais, et je te promets que ça se passera bien.

Bien sûr, tu souffriras un peu et tu vas te raidir, c’est normal, c’est humain, mais plus la douleur grandira, plus tu te laisseras aller et tu voudras que j’en finisse au plus vite.

Allez, on va se dire au revoir maintenant : je vais commencer…

 

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Mise à jour ; 12 mars  2005   Copyright © 2004, Les éditions Mélonic