Conte-5005

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Conte de Hervé Poirine, France

 

La pluie tombe mais elle ne me lave pas.

La pluie tambourine contre mon corps mais elle ne me fait pas mal.

Et pourtant, j’ai mal. J’ai mal dans ma tête, j’ai mal dans mon corps, j’ai mal et une nausée m’envahit : j’ai envie de vomir sur ce trottoir désert où je me suis jetée comme sur une bouée de sauvetage…

Je suis sauvée, mais tout à l’intérieur de moi souffre et crie, ma tête est prête à éclater comme si une sirène hurlait sans cesse.

J’ai mal.

 Il avait l’air pourtant très bien ce type…

Un petit côté séducteur qui ne m’a pas déplu et puis voilà, on commence à parler, à sortir quelques banalités pour faire connaissance, à échanger quelques idées sur la vie, et puis on se retrouve autour d’une table dans petit resto sympa, et on boit quelques verres, un peu trop, et on rie et on se sent bien, et le charmant monsieur vous raccompagne jusque chez lui, parce que ça ne serait pas prudent de prendre le volant dans votre état, et qu’il vous invite à boire un dernier verre, pourquoi pas, il est si gentil et si prévenant, et que vous buvez ce verre et que vous commencez à vous sentir fatiguée, et que le monsieur vous propose de rester si vous le désirez, qu’il dormira sur le canapé, et puis…

Et puis vous vous réveillez en sursaut et le charmant monsieur est là, derrière vous, avec son souffle rauque de bête en rut incapable de retenir ses instincts les plus primaires et qu’il vous dit de vous laisser faire, que de toutes façons, t’aimes ça salope, c’est pour ça que tu es venue, et que vous tombez des nues et que vous sentez son sexe en érection s’insinuer en vous et vous faire mal à en crever, et le monstre insiste et vous maintient, et que vous avez beau tenter de vous débattre, ça ne sert à rien, que vous avez beau crier, ça ne sert à rien, qu’il ne vous reste plus d’autre alternative que de subir ce joug entre vos fesses meurtries et attendre ce râle de jouissance qui vous dégoûtera des hommes pendant longtemps.

Et puis ça y est, il a enfin craché son pauvre jet de salive et il est enfin satisfait de lui, il s’écarte de vous en vous regardant d’un air dédaigneux en vous disant que vous l’avez bien cherché en le provoquant de la sorte et que vous vous demandez à ce moment ce que vous avez bien pu faire pour subir tant de haine et de hargne.

Magnanime, il vous autorise à prendre une douche, hébétée, vous y allez, mais vous avez beau faire couler l’eau la plus chaude possible et le jet à sa puissance maximum, vous vous sentez sale, souillée de l’intérieur, et vous pleurez, et vous mêlez vos larmes à l’eau, et vous avez envie de hurler mais les sons ne peuvent plus sortir.

Et puis vous vous rhabillez devant le monsieur qui vous fait comprendre que si vous en parlez, personne ne vous croira, parce qu’il a une réputation et que de toute façon, vous passerez pour l’avoir provoqué, et que vous comprenez, monsieur le juge, elle a quand même accepté de venir chez moi, on ne sait pas à quoi elles pensent ces filles, mais quand même, nous autres, les mâles, c’est pas pareil, et puis la manière provocante avec laquelle elles s’habillent…

Et puis…

Et puis je suis dehors, et la pluie tombe et lave le trottoir, mais pas moi. J’arrive enfin à crier, à hurler et je sens de nouveau ce dégoût m’envahir, et je marche en titubant, ne sachant pas très bien où je vais.

J’ai honte et je n’ose pas allez porter plainte pour rencontrer encore des hommes qui vont me demander ce qui s’est exactement passé et qui vont me regarder de biais comme s’ils écoutaient une bonne histoire de cul et que je les imagine en train de bandouiller dans leurs uniformes en écoutant mes mots de détresse…

Je n’irai pas et je vivrai avec mon mal et mes cicatrices, avec ma vie peut-être fermée pour toujours à l’amour…

La pluie s’est enfin arrêtée, mais elle est toujours à l’intérieur de moi mais elle ne me lave pas…

 

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Mise à jour ; 12 mars  2005   Copyright © 2004, Les éditions Mélonic