Conte-5009

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Conte de Hervé Poirine, France

 

J’ai commencé avec les timbres. Rien de méchant, en somme, des petits bouts de papiers que l’on colle sur un album et que l’on est fier de posséder, par leur unicité ou par leur rareté.

Et puis il y eut les pièces de monnaie, la numismatique, pour les avertis. De toutes sortes, de toute forme, de toute époque : je regardais ces morceaux de métal comme des trésors et je j’étais ébahi devant tant de volonté de la part des hommes de trouver à remplacer l ‘échange de biens par un troc aussi absurde que l’argent.

Puis sont venus les femmes. Je les collectionnais aussi, blonde, rousse, brune, noire, blanche, de toutes les couleurs, de tous les pays, je les collectionnais dans ces vidéos où chacune d’elles apparaissaient, comme un témoignage de ma débauche.

Et puis il a fallu que je les collectionne vraiment.

Il y eut tout d’abord, un morceau oublié d’elles-mêmes, un objet sans valeur, une pièce, un ticket de métro, n’importe quoi qui leur ait appartenu et que je puisse signaler par un nom, le nom de chacune d’entre elles.

Et je devins plus hardi : je voulus de chacune de mes maîtresses un objet qui leur ait appartenu et qu’elles avaient aimé : je me retrouvai ainsi avec une collection de culottes, de soutien-gorge et de bouteilles de parfum que mon appartement en devenait un musée pour pervers donnant dans l’anti-ensemble, dans les goûts douteux.

J’ai même eu quelques préservatifs usagés, des serviettes périodiques ou des tampons qui avaient reçu l’œuf non-fécondé de nos amours sans lendemain.

Puis les choses devinrent plus sérieuses.

J’ai commencé à collectionner leur vie.

 Par morceau tout d’abord. Un bout d’ongle, une mèche de cheveu, une goutte de sang…

Et puis, très vite, un doigt, un orteil, une main, un sein, une tête.

Il n’y avait plus de volontaires pour ce jeu-là et je suis vite devenu un ennemi public au même titre que Jack l’Eventreur ou tout autre criminel célèbre s’attaquant toujours aux mêmes types de personnes.

Que pouvais-je faire ?

Mon appétit de collection devenait insatiable et il me fallait en avoir plus, toujours plus.

Et comme mes prédécesseurs, c’est vers les prostituées que je me tournai, proies plus faciles et sans risque, et combien j’ai pu en mettre en bocaux, au congélateur, par bouts, par morceaux...

Et puis vint le jour où je me fis prendre.

Trop d’indices demeuraient derrière moi, on reconnaissait mon style.

Et il est vrai que la soixantaine de victimes dans un périmètre aussi peu large ne me laissait pas beaucoup de chances.

Alors, lors de mon procès, quand j’ai commencé à nier et qu’ils ont compris que je mentais, j’ai retourné cet élément à charge contre eux : comme collectionneur, j’avais gagné sur bien des tableaux, mais en tant que preneur de vie, je battais tout le monde, célèbre ou pas.

J’en vins donc à devenir moi-même célèbre et je collectionnai les articles de journaux me concernant. Certains étaient même envoyés à la prison par des fans, et ma pile s’augmentait de jours en jours.

Puis mon procès eut lieu.

Pas de surprise, j’écopais du maximum. Alors j’en vins à collectionner les années de prison : trois cinquante et un ans incompressibles, sans liberté, sans rien : je battais le record.

Et maintenant je collectionne encore les années qu’il me reste à tirer, année par année, mois par mois, semaine par semaine, jour par jour, minute par minute, seconde par seconde…

 

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Mise à jour ; 12 mars  2005   Copyright © 2004, Les éditions Mélonic