Conte-5010

Catégories Auteurs Récompenses Actualité Statistiques

 

Conte de Hervé Poirine, France

 

- À quoi tu penses ?

(Je pense à un jardin perdu aux fleurs improbables et délicieuses, à leur parfum capiteux et enivrant, je pense à un soir d’été étoilé, couché sur une plage déserte à l’ombre de la poitrine opulente de la fille que j’ai croisée hier, je pense que je me perds dans ses caresses en me plongeant avec délices dans son sexe doux et humide, je pense que je me noie en elle et que je ne veux pas que ça finisse, que mes plaisirs se renouvellent sans cesse, irréels, sans fatigue, sans jamais me rassasier de nos jouissances multiples, je pense à toutes ces femmes que j’aurais voulu aimer et que je n’ai pas prises dans mes bras parce que ma morale me l’interdisait, je pense à toutes celles que j’ai prises dans mes bras, en dépit de cette morale, et que j’ai aimé le plus sincèrement que j’ai pu, je pense à toutes ces larmes que j’ai fait couler et à toutes celles qui couleront, je pense à mes larmes d’amertume qui me rongent à l’intérieur et que je ne peux laisser voguer au gré de leur flot, parce qu’elles me trahiraient, je pense au rôle que je me suis fixé et que l’on m’a fixé, et que je ne peux en sortir, tellement il est ancré en moi, tellement la machine est avancée que je ne peux faire marche arrière, je pense aussi à toi, allongée à côté de moi, avec qui je partage mes années avec ces joies et avec ces peines, avec ces moments de souffrance et ces moments de bonheur, je pense à toi et aux enfants que tu m’as donnés et que je vois grandir un peu plus chaque jour et s’en aller doucement, et puis je pense que je veux aimer la vie, au plus profond d’elle-même, et que je veux l’avaler sans discontinuer et oublier parfois que j’ai une existence réelle, avec ses codes et ses artifices de bienséances  et que j’ai envie de les envoyer balader, et de me promener à poil là où je veux, et me montrer entièrement nu aux regards des autres, de l’intérieur et de l’extérieur, sans rien cacher et sans craindre le persiflage des mauvaises langues, je pense…).

- À rien ma chérie, à des histoires de boulot. Et toi, à quoi tu penses ?

(Je pense que je suis une impératrice d’un territoire qui n’existe pas encore et que je me fais choyer par des hommes tous plus beaux les uns que les autres, me laissant caresser, masser, aimer par tous mes pores comme on ne m’a jamais aimé, par ces mains multiples et avides, connaissant chaque parcelle de mon corps et le faisant jouir de leurs langues, de leurs baisers, de leurs membres dressés rien que pour moi, rien qu’à moi, et qu’ils sont des dizaines à m’aduler et que je n’ai que l’embarras du choix, je pense à me perdre dans le regard de cet homme rencontré à la terrasse d’un café, avec lequel j’ai l’impression de partager plus que je n’ai jamais partagé, comme si nos âmes étaient unies, comme si nos pensées se suffisaient par elles-mêmes, et que le monde peut bien s’écrouler, il n’y aura que son regard dans le mien, je pense que j’ai dû le quitter pour reprendre mon quotidien dans lequel je me suis tellement investie qu’il me pèse comme s’il était des tonnes de mon existence annihilée dans les couches, l’éducation, la prise en charge de ce foyer d’où je voudrais m’évader sans jamais revenir, parfois, où je voudrais trouver ma place, je pense à mon existence comme une longue fuite en avant, donnant aux autres sans jamais prendre pour moi, et sans même m’en rendre compte et je pense que je ne peux plus vivre cette vie et que, malgré tout, je ne sais pas où est l’issue de secours, alors je tourne en rond avec moi-même en frappant les portes de ma vie, je pense à toi qui ne me réponds pas vraiment et à qui je ne vais pas vraiment répondre, à ces années à s’aimer, à se vivre au quotidien, à s’oublier l’un par rapport à l’autre et à ne pas vivre pleinement  ce que nous avions à vivre ce qui entraîne aujourd’hui ces pensées, je pense que je voudrais m’évader de moi, prisonnière à l’intérieur, et que je veux séduire, être aimée, être désirée plus que tout, et qu’en même temps on me laisse vivre ma vie, sans me poser de questions, sans avoir à faire de compte-rendu, je pense..).

- Je pensais à ma mère, c’est tout. Bon, si on dormait ?

 

Accueil Editions Partenaires Nous rejoindre

 

Mise à jour ; 12 mars  2005   Copyright © 2004, Les éditions Mélonic