Conte-5011

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Conte de Hervé Poirine, France

 

On m’appelle le cerf-volant, pourtant je n’ai jamais volé et je ne ressemble en rien à un cerf, j’ai pas de cornes, et puis, je suis humain, ça n’a rien à voir.

Alors ils ont ri quand je leur ai dit ça.

J’ai pas compris pourquoi.

Ils m’appellent aussi le fada, je crois que ça veut dire que je suis pas tout à fait pareil que les autres, un peu dérangé de la cafetière, qu’ils disent, mais pas méchant.

C’est vrai, je suis pas méchant.

Moi j’aime bien marcher dans les feuilles d’automne et donner des coups de pieds dans les tas de feuilles, j’aime bien aussi boire un chocolat chaud, quand j’ai donné trop de coups de pieds et qu’il fait froid dehors.

J’aime bien aussi Madame Lucie : elle est gentille et elle s’occupe de moi, même qu’elle empêche les méchants de me faire du mal.

Parce qu’il y a des méchants, plein partout et que des fois, ils s’amusent à me taper dessus, comme ça, pour jouer, qu’ils disent, mais moi ça me fait mal et je pleure et madame Lucie vient me sauver et me console avec un chocolat chaud (enfin, en hiver le chocolat, parce qu’en été c’est l’orangeade qu’elle prépare elle-même), et qu’elle me sert dans ses bras en m’appelant son bébé : je suis pas un bébé, je sais quel âge j’ai, j’ai vingt-cinq ans, mais certains disent que j’ai cinq ans d’âge mental, je sais pas ce que ça veut dire, mais je sens bien que c’est pas gentil.

Et puis je suis pas vraiment le bébé de madame Lucie, ni son fils d’ailleurs : madame Lucie, elle m’a adopté, on m’a dit, ça veut dire qu’elle s’occupe de moi comme si j’étais son fils même que je le suis pas, et ça, c’est drôlement gentil de faire des choses comme ça. J’avais un papa et une maman, mais je sais pas ce qu’ils sont devenus, et pis c’est pas grave parce que j’ai madame Lucie.

Et puis un jour, les méchants, ils m’ont fait plus mal que les autres fois, alors je me suis vengé et je leur ai fait mal aussi, mais je voulais pas, mais là, c’était trop fort, alors je me suis énervé, et puis j’ai tapé, tapé, tapé, tapé, tapé…

Et puis après, c’est le monsieur de la police qui m’a raconté que j’avais tué des méchants et qu’ils étaient morts, mais je savais pas que ça allait les faire mourir, moi quand ils me tapaient, je suis jamais mort, et que la police, elle allait m ‘enfermer pour plus que je fasse ça, que j’étais dangereux et que j’avais plus ma place dehors.

Alors on m’a enfermé dans une cage, comme un animal et on m’a dit que j’allais être jugé, et que je savais pas ce que ça voulait dire jusqu’au moment où un monsieur avocat, comme le fruit, m’a expliqué qu’y allait avoir plein de gens et que certains m’aimeraient pas, mais que lui, il allait me défendre, comme madame Lucie, et que tout se passerait bien, que j’avais pas à m’en faire, alors moi je m’en faisais pas.

Le jour du procès (c’est comme ça que ça s’appelle aussi le jugement, y’a plein de mots qui veulent dire pareil, ou presque), y’avait beaucoup de monde dans une grande salle.

On m’avait mis des menottes et je me suis dit que c’était rigolo, qu’on allait peut-être jouer aux gendarmes et aux voleurs, mais c’était trop serré pour que ça soit rigolo, ça me faisait mal aux poignets et aux chevilles, parce qu’ils m’avaient mis aussi des menottes aux chevilles.

Un monsieur est entré et tout le monde s’est levé, et ben, j’ai fait pareil, pour pas me faire remarquer, et qu’un monsieur a crié que c’était la cour, alors que j’avais beau regarder partout, je la voyais pas la cour.

Après le monsieur qui était entré a raconté plein de choses, que j’avais tué des tas de gens, quatre, je crois, et j’ai appris plein de choses sur moi, sur mon papa et ma maman, et que même madame Lucie elle est venue pour parler de moi, et qu’elle pleurait en parlant et que ça m’a rendu triste, parce que j’aime pas la voir pleurer, madame Lucie.

Pendant trois jours, je suis revenu, on m’a posé plein de questions, et y’avait un méchant monsieur qui arrêtait pas dire que les gens comme moi, fallait pas que ça existe et qu’il fallait les supprimer de la société.

Il parlait à toute une bande d’autres gens qui s’appelaient des jurés, je crois, alors que madame Lucie m’a toujours dit que c’était pas bien de jurer, alors j’ai pas compris.

Et puis tous les gens jurés sont sortis et après longtemps, longtemps, ils sont revenus et ils ont dit que j’étais coupable, et que c’était tout.

Y’a un monsieur en robe noire qui est venu tout à l’heure et qui m’a demandé si je voulais me confesser : j’ai rien compris, mais j’ai trouvé le mot rigolo, parce que dedans y’a un gros mot et pis fessée, et pis on m’a donné super bien à manger, ce que je voulais, alors j’ai trouvé ça gentil, mais j’en ai pas trop profité non plus parce que madame Lucie, elle dit que ç’est pas bien de s’empiffrer, alors j’ai mangé juste comme il fallait.

Et puis là, on m’a mis assis sur une chaise, on m’a rasé le crâne, et ça j’ai pas aimé, parce moi j’aimais bien mes cheveux, et que madame Lucie elle a toujours dit que j’avais de beaux cheveux alors je voulais les garder, mais y’a rien eut à faire.

C’est une drôle de chaise où je suis, y’a plein de sangles partout pour m’attacher : je veux pas bouger, moi, je suis bien là, mais ils m’attachent quand même, et que je préfère rien dire parce que les gardiens m’ont prévenu que c’était la tradition, alors je les laisse faire.

Tiens, je reconnais monsieur avocat qui a le nom d’un fruit, il a pas l’air joyeux mais je lui souris quand même et il fait comme s’il ne me voyait pas, mais c’est pas grave, il ne m’a sûrement pas reconnu depuis le temps que je suis là, depuis cinq ans je crois, j’ai compté sur un calendrier, on m’a appris à la prison.

Et pis y’a un monsieur qui dit première phase et on entend quelque chose grésiller et je me dis qu’on prépare sûrement un barbecue, et puis on me dit des choses, que j’ai été déclaré coupable et que je sais plus quoi, mais que je commence à avoir peur, parce que je sens bien que tout ça, c’est pas normal, et que les gens, ils ont des drôles de têtes, et que surtout, on me met un capuchon sur la tête et que j’ai vraiment peur et que j’entends juste une chose encore, un monsieur qui dit deuxième phase et…

 

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Mise à jour ; 12 mars  2005   Copyright © 2004, Les éditions Mélonic