Conte-5018

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Conte de Hervé Poirine, France

 

« Faut toujours voir le pire, c’est mieux.

Imaginez, mais imaginez ! Il vous arrive n’importe quoi dans la vie.

Regardez : ici, ça inonde, et y z’ont plus de maison, et qu’est-ce qu’y font ? Rien, y sont dans la mouise pour le reste de leurs jours, à rembourser des crédits et tout le fatras.

Si y z’avaient prévu, ce serait pas arrivé.

Avec une bonne assurance, y z’auraient eus tout remboursé, même qu’y z’auraient pu se faire rembourser des choses qu’étaient même pas détruites, je le sais, je l’ai fait, et même que ça a marché.

Faut prévoir, je vous dis : regardez, mon mari, paix à son âme, le pauvre homme, mon pauvre Léon, on avait prévu depuis vingt ans le caveau pour notre repos éternel, bien nous en a pris, regardez maintenant le pauvre homme, paix à son âme, le voilà six pieds sous terre mais confortablement installé.

Parce qu’on a des principes, nous, ah oui, alors : faut toujours voir le pire, y’a rien de meilleur, ça je vous le dis.

Et puis si vous saviez toutes ces choses qui nous pendent au nez…

Oh ! Ils le disent pas aux informations, ça non, ils nous mentent aux informations, vous savez…

Oh ! Ils l’ont montré à la télé qu’y avaient des extra-terrestres, et ben moi je vous dis qu’on sera envahi, un jour, pour sûr. Même qu’y nous z’ont montré leurs têtes : et ben y sont pas beaux, ça, faites-moi confiance, je sais de quoi je parle quand je cause de beauté.

Mon Léon, lui il était beau comme une statue grecque, un vrai dieu de l’Olympe, comme le nom du bar-tabac à côté, mais pas tout nu, ça, j’aurais jamais voulu, enfin avant, parce que maintenant, mon pauvre Léon…

Qu’est-ce que je disais ?

Ah, oui ! Les extra-terrestres…

Ben vous savez, moi si y z’envahissent la terre, et ben, j’ai des réserves, et y peuvent toujours venir : trois congélateurs pleins à la cave, des boites de conserves et des pâtes, du riz et de la farine, y manquera rien.

Même que je cultive des pommes de terre dans mon jardin, et que j’élève des poules et des lapins, on sait jamais…

Et pis les accidents nucléaires, et tout ça, la pollution, les guerres, tout ça, quoi, ben moi je dis qu’y faut y réfléchir et faire des réserves avant que ça arrive, parce que, du train où y z’y vont, ça nous pend au nez, croyez-moi, ça nous pend au nez !

Enfin, c’est pas tout ça, je bavarde, je bavarde, mais vous avez du travail, vous, hein ? Bon alors d’accord, je vais le prendre ce petit de trois mois, mais découpez-le-moi.

Et n’oubliez jamais, faut toujours prévoir dans la vie, toujours : voir le pire c’est mieux. »

Et Madame Germaine traversa la route, insouciante et croulant sous le poids de son cabas.

Elle n’entendit pas le camion arriver.

Il la décapita sans pitié et sans le vouloir, et Madame Germaine eut encore la force de prononcer ces mots qui resteront à jamais gravés dans la mémoire du trottoir sur lequel elle gisait : « Ben le pire, c’est pas toujours ce à quoi on s’attend… Et c’est pas meilleur pour autant… »

 

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Mise à jour ; 12 mars  2005   Copyright © 2004, Les éditions Mélonic