Conte-5032

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Conte de Hervé Poirine, France

 

Il a creusé pendant dix ans.

Jour pour jour.

Personne ne savait pourquoi il faisait cela, et tout le monde le regardait comme un doux illuminé : après tout, c’était chez lui qu’il creusait, et ça ne dérangeait personne.

Les langues y allèrent bon train pour découvrir son mystère.

Certains disaient qu’il avait du trouver du pétrole, d’autres, qu’il se fabriquait simplement un puit, les plus enragés parlaient d’un trésor enfoui là depuis plusieurs siècles dont il aurait découvert la carte.

On en vint même à inventer des légendes sur ce trou qu’il creusait sans fin, et les plus enhardis allèrent à la nuit tombée examiner cette excavation afin d’en comprendre son sens, afin de peut-être, trouver avant lui.

Il y eut même quelques accidents mémorables.

Un jour, un curieux par trop imprudent tomba dans le trou de fort bonne dimension et ne pu en sortir, car, le soir, notre creuseur invétéré retirait les échelles d’accès.

On aurait pensé que notre homme allait s’indigner : même pas, il permit simplement au curieux de sortir le lendemain matin sans poser une question et sans un mot pour lui, indifférent à qu’il pouvait bien être et chercher.

Alors on en vint à penser qu’il était devenu fou, et on ne s’en occupa plus, ou si peu.

A peine une remarque un :

« Ca avance les travaux ? » lancé sans attendre de réponse, car ça faisait déjà longtemps que personne n’avait pu entendre le son de sa voix.

Il devint un peu notre mascotte locale.

Notre village n’étant pas riche en monument historique, on s’empara de lui comme la curiosité qu’il ne fallait pas manquer : voyez, chez nous, on n’a pas de musée, pas d’église du douzième, pas de lavoir authentique, non, tout ça c’est galvaudé.

Chez nous, nous avons une vraie star ! Un homme qui creuse un trou depuis des années !

Toujours le même, jamais il n’a pensé à en creuser un autre ailleurs ! Ah ! Ca c’est un vrai cas que nous avons, une vrai personnalité !

Cette personnalité fit le tour des villages avoisinants, et la presse locale décida d’en faire un article, mais aucun journaliste ne pu entrer chez l’homme, il les refoulait d’un grognement sans appel.

L’article paru néanmoins et de star du village, notre héros, car il avait passé le stade de doux illuminé à celui de héros, devint star régionale à tel point que la télévision lui consacra un reportage et qu’on en parla même dans des journaux nationaux et des émissions nationales traitant de la folie unique, et qu’on regarda notre creuseur d’un regard bienveillant.

Si on parlait de lui, on parlait de nous, et lorsque nous sortions de notre région et qu’on nous demandait d’où on venait, le nom de notre village, inconnu jusqu’alors, devenait aussi célèbre que celui de la capitale.

« Ah ! Vous venez de ce patelin où il y a l’autre cinglé qui creuse ? On l’a vu à la télévision ! Alors, c’est vrai tout ce qu’ils disent ?»  

En fait, notre bonhomme nous avait involontairement valorisé et notre petit village devint plus prospère, plus habité sans avoir nul besoin de monument historique, la mairie obtint des subventions qui lui permirent d’améliorer l’état des rues, l’eau, et notre lieu d’habitation devint de plus en plus agréable.

Et puis au bout de dix ans, ça s’est terminé.

L’homme s’est arrêté de creuser.

On ne vit rien, tout d’abord, et c’est le fils du boulanger qui lança l’alerte : il rebouchait son trou.

Tout le monde s’affola et on vint de loin pour le voir remettre, pelletée par pelletée, la terre qu’il avait enlevé pendant tant d’années, indifférent à la foule.

Le maire convoqua le conseil municipal, car l’affaire changeait tout : si la star ne creusait plus, le village allait retourner dans l’anonymat, et ça, personne ne le voulait.

Puis chacun réfléchit : s’il avait mis dix ans pour creuser ce trou, il lui en faudrait bien autant pour le reboucher.

Alors on convoqua la presse, et ce fut de nouveau le ballet des articles, des émissions et des reportages, des curieux en tout genre qui venaient regarder le dimanche cet homme reboucher son trou.

Et puis, au bout de dix ans, le trou fut rebouché.

L’ensemble du village était devant sa maison, angoissé, dans l’attente de ce qui allait bien se passer : qu’allait-il faire maintenant ?

La presse prenait des photos, un reporter souriait à des caméras et attendait la dernière pelletée en présentant ce moment d’exceptionnel.

Le dernier coup de pelle.

Chacun retint son souffle, le silence devint pesant, comme si un évènement des plus graves allait se produire.

On attendait.

La terre fut étalée, aplanie, tassée.

L’homme regarda son travail d’un air pensif, puis il haussa les épaules et lâcha sa pelle.

Il s’assit sur un banc, farfouilla dans les poches de sa chemise et en retira une pipe qu’il bourra consciencieusement, avec lenteur.

Il l’alluma avec des gestes précis et aspira la fumée.

Puis, tout à coup, il sembla se rendre compte que nous étions tous là, à le regarder.

Il nous dévisagea, les uns après les autres, et on vit un sourire naître sur son visage, un sourire qui devenait de plus en plus large, un sourire qui se transforma en soubresaut, en rire, en éclat de rire, un rire qui coupait le silence, un rire tonitruant, énorme !

Allait-il parler ? Allait-il enfin nous dire pourquoi ce trou et pourquoi il l’avait rebouché ?

Son rire se calma et chacun resta en arrêt : il allait parler !

Mais il ne parla pas. Il sourit une dernière fois et tomba, raide mort.

La foule cria, hurla, ce n’était pas possible, elle voulait comprendre, ça ne pouvait pas se terminer comme cela !

Dans les jours qui suivirent son décès, sa maison fut mise en pièce afin de trouver le moindre indice expliquant ces années de labeur, sans succès, la mairie fit venir une entreprise spécialisée dans les forages pétroliers et creusa au même endroit que lui.

Et, au bout de quelques mois, on trouva quelque chose.

Une petite boite en métal.

Elle fut apportée au maire qui décida de l’ouvrir en séance publique du conseil municipal, filmé par de multiples télévisions, suivit par l’ensemble des habitants du village et d’autres lieux de par le pays.

Il n’y eut pas de discours, l’attente était trop palpable pour qu’on puisse se le permettre.

La boite fut ouverte.

A l’intérieur s’y trouvait un papier que le maire déplia soigneusement pour ne pas le déchirer et on vit, quand il en prit connaissance, son visage blêmir.

Sur ce papier étaient écrits trois mots.

« Ah ! Ah ! Ah ! »

 

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Mise à jour ; 12 mars  2005   Copyright © 2004, Les éditions Mélonic