Conte-5033

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Conte de Hervé Poirine, France

 

Arrêt de bus, un soir.

Elle attend le dernier passage.

C’est bête, cette panne de voiture juste ici, à cette heure là, et en plus, en ayant oublié de prendre son portable pour appeler quelqu’un : trouver une cabine qui fonctionne ici ? Il ne faut pas rêver.

C’est tellement réputé comme quartier que même les flics n’osent pas y entrer, c’est dire !

Ce qu’elle en sait ? Mais on en parle dans toute la ville : il paraît qu’ici, c’est le paradis de la drogue et qu’on en trouve plus que de tomates chez un épicier, il paraît aussi qu’aucune voiture n’a de véritable propriétaire et qu’elles proviennent toutes de vols.

Sa voiture…

Justement ici : c’est sûr qu’elle ne la retrouvera pas demain matin.

Jamais elle n’aurait mis les pieds là si elle n’avait pas eu cette panne.

Jamais.

Traverser le quartier en voiture à une allure un peu plus vive que celle recommandée par la prudence, passe encore, mais de là à s’arrêter.

Elles les a vu, bien à l’abri derrière les vitres de son véhicule, ils ont l’air de gens comme les autres, apparemment, mais elle sait bien, pour l’avoir entendu dire, que ça cache leur véritable nature, que c’est un masque qu’ils mettent pour mieux cacher leurs visages de bêtes.

Car ce sont des bêtes, féroces, on lui a dit, on lui a affirmé !

Il paraît que toutes les femmes qui restent trop longtemps là se font violer et que, souvent, on ne les retrouve jamais, enterrée dans un coin, derrière un immeuble.

Oh ! Bien sûr ! Elle a déjà rencontré des gens du quartier, du moins, ceux qui s’en étaient bien sortis, et il ne devait pas y en avoir beaucoup, ceux qui avaient réussi à s’en tirer.

Mais elle pense qu’ils continuent à se protéger entre eux, même quand ils deviennent civilisés, et que quand on vient de là, on ne peut jamais donner vraiment grand-chose.

Et puis on en parle assez dans les réunions que ce sont eux qui pourrissent le pays, il suffit de regarder, les gens se plaignent partout.

C’est pour ça qu’elle a pris sa carte au parti, parce qu’avec eux, ça allait changer, c’était pas des couilles molles comme tous les autres, non, c’était des vrais qui avaient des vraies idées pour mettre tous ces étrangers dehors, à la porte, et qu’on retrouve un peu notre tranquillité entre nous !

D’accord, les méthodes sont un peu musclées, mais il faut ce qu’il faut !

Et puis, ils sont pas mieux chez eux, quand on les voit, on croirait qu’ils vivent comme au Moyen-Âge et ils osent venir chez nous pour qu’on leur donne notre argent sous prétexte de travail après nous avoir mis dehors quand leurs pays nous appartenaient ! Et ils profitent de tous les avantages, comme nous, alors qu’ils sont même pas nés ici, c’est pas normal !

Et ça travaille pas, et ça vit de la drogue et des allocations familiales !

Vous allez voir que bientôt, ils vont être plus nombreux que nous à se reproduire comme ça !

Le bus qui n’arrive toujours pas.

Elle vérifie dans sa poche le petit automatique que son mari lui a offert peu de temps après qu’elle ait pris sa carte au parti.

Il va venir ce bus ?

Ah ! Voilà des phares !

Mais non, c’est une voiture qui s’approche !

Mais cette voiture vient vers elle.

Elle sent son ventre se serrer et la peur la ronger, peur qui se transforme vite en terreur, et elle crispe sa main sur l’automatique, en enlève le cran de sécurité, et ses yeux se voilent, sa bouche est sèche, elle est incapable de ne pas trembler, et la voiture se rapproche, et elle ralenti, alors elle ne sait plus ce qu’elle fait, elle sort l’automatique et tire jusqu’à ce que son chargeur soit vide, elle tire en hurlant que personne ne la touchera, elle tire en criant sa haine de l’autre, parce qu’elle en a peur, elle tire en hurlant son dégoût de la différence, elle tire en vomissant toute la paranoïa qu’on lui a inséminé lentement dans sa tête, sûrement comme une vérité profonde et sans appel.

Elle tire jusqu’à ce que la gâchette rebondisse en vain sur le percuteur, plusieurs fois.

Elle tombe à genoux, en larmes, ne sachant plus très bien ni qui elle est ni ce qu’elle a fait.

Puis le flot de ses larmes s’amenuise, et elle retrouve lentement la vue et ses sens, encore sous le choc, et elle lève sa tête, et elle regarde le tableau qui s’étale devant ses yeux et qu’elle a peint du noir de la mort.

Elle regarde et voit les trois policiers tués dans l’exercice de leurs fonctions.

 

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Mise à jour ; 12 mars  2005   Copyright © 2004, Les éditions Mélonic