Conte-5034

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Conte de Hervé Poirine, France

 

Une chambre douillette, le seul bruit : ce radiateur dans lequel coule une eau mille fois recyclée, et qui, mille fois a fait le tour de ces chambres, de ces cuisines, de ces lieux intimes, et qui, mille fois est passée sans changer quoi que soit à son gargouillis si caractéristique.

C’est une chambre d’hôtel, comme toutes les chambres d’hôtel, impersonnelle à souhait, avec ce peu d’âme que les propriétaires ont voulu apporter, par ce tableau fané d’une nature qui est plus morte que jamais, par ce papier peint aux fleurs qui ont dues être écarlates un jour, mais qu’on a oublié d’arroser.

C’est une chambre qui a vu passer tant de corps sur ce sommier trop souple, tant d’étreintes ou de jeux solitaires, tant de pleurs et de vies, tant d’anonymes et de célébrités qu’elle est devenue indifférente à tout et à tous, lieu de passage sans laisser d’adresse.

Et malgré tout, c’est une chambre chaude et chaleureuse, et malgré tout, on s’y sent bien.

Surtout lorsqu’on éteint la lumière et qu’on ferme les yeux.

Alors on se retrouve sur les chemins de notre enfance, et le radiateur qui gargouille rappelle notre chambre, lorsqu’on était enfant, et on se sent bien, protégé contre les démons du monde, le père Fouettard ou le Croque-mitaine, quel qu’il soit, et on se sent fort parce qu’on sait que papa et maman sont là, derrière, et qu’en cas de danger, ils pourront intervenir, et que jamais on ne pourra vous faire du mal.

Alors on s’endort doucement, sereinement, sans penser au lendemain et à ses problèmes, aux rendez-vous que l’on a ou que l’on a pas, à la femme ou à l’homme qu’on va retrouver ou qu’on vient de quitter, à la vie si dure ou si pleine d’espoir, alors, on ne pense plus qu’à s’endormir, se laisser bercer par ses sensations anciennes, se laisser emporter dans cette jeunesse pour instant retrouvée, dans ce moment si particulier qui emporte l’adulte aux confins de son enfance.

Alors on se réveille, et on n’ouvre pas tout de suite les yeux, parce qu’on a encore dans la tête cette sensation brûlante et si reposante, et qu’on écoute autour de soi.

Et on a l’impression que ce sont les bruits de la maison qui s’évadent des murs, et on a l’impression de sentir l’odeur du café chaud, et on pense que maman va venir nous réveiller d’un bisou sur la joue, et qu’il va falloir ouvrir les yeux.

Et puis il y a toujours le gargouillis du radiateur, si rassurant par sa régularité.

Et puis on ouvre les yeux et on se retrouve dans cette chambre d’hôtel, et on se passe la main sur la joue pour constater avec étonnement qu’on a de la barbe et qu’on est vieux, et que notre peau est flétrie, et qu’on est plus cet enfant, qu’on avait oublié, qu’entre temps, on avait grandi.

Alors on se met assis sur le lit, et on ferme les yeux une dernière fois, et on pousse un soupir de regret et on laisse lentement ce qui n’était qu’un souvenir s’estomper, se fondre dans le réveil et dans la vie.

Alors on se dirige d’un pas mal assuré vers la salle de bain et on regarde son visage dans le miroir, et s’imprègne de ce qu’il est vraiment, un sourire en coin, comme pour se dire à soi-même qu’on a été ridicule, alors qu’on sait parfaitement qu’on pense le contraire.

Alors on va prendre une douche, pour laver les derniers effets de cette nuit trop magique pour rester en mémoire plus longtemps, et on va se raser ou se maquiller, on va se faire une image et on va repartir dans le monde, là, dehors, celui qui nous attend, pour retrouver nos problèmes, pour un rendez-vous, pour penser à la femme ou l’homme qu’on vient de quitter ou qu’on va retrouver, pour penser à la vie si dure ou si pleine d’espoir.

Alors on va saluer le mensonge et en faire son compagnon pour se préserver des autres qui sont tout comme nous.

Mais il restera, au fond de notre regard, cette petite flamme qu’on n’a pas pu effacer par tant d’expérience de la vie, il restera ce petit chemin oublié.

Il restera un peu de nous.

Et un vieux radiateur qui gargouille.

 

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Mise à jour ; 12 mars  2005   Copyright © 2004, Les éditions Mélonic