Conte-5040

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Conte de Hervé Poirine, France

 

C’est le jour où on a tué le cochon.

Tous les ans, mes parents achetaient un petit porcelet, tout beau, tout rose, tout petit, si mignon, et ils l’engraissaient durant l’année pour, quand les fêtes venaient, le transformer en boudins, en jambons, en côtelettes, en rôtis, enfin, en tout ce qu’on peut faire avec du porc.

Les autres années, j’étais trop petit pour comprendre ce qui se passait et je mangeais avec bon cœur toute cette cochonnaille provenant de ce compagnon de vie, à défaut d’être un compagnon de jeu.

Mais là, ce fut différent.

J’étais avec mon père quand nous sommes allés chez le fermier choisir Groglouton (c’est le nom que j’avais donné à ce charmant porcelet tout rose, tout doux, qui, la première fois que je le vis et le pris dans mes bras, me lécha le visage en me regardant de ses grands yeux entourés de cils si longs qu’ils ressemblaient à ceux d’une actrice en vogue..) et je me pris d’affection pour lui, pour ce petit cochon, sans prendre conscience que lui finirait dans mon assiette avant la fin de l’année.

Les mois passèrent.

De plus en plus, nous jouions, Groglouton et moi, sans nous soucier du regard des autres : mes copains ne comprenaient pas qu’un cochon puisse prendre autant d’importance dans ma vie, mais c’est ainsi ; je ne pouvais rentrer de l’école où en partir sans passer au moins un moment avec lui, et, c’est peut-être bête, mais je sentais qu’il m’attendais et qu’il était heureux de mon retour comme j’étais heureux de le retrouver.

Groglouton grossissait, grossissait, et je ne l’en aimais pas moins.

Nos jeux devenaient moins brutaux et nous nous promenions souvent ensemble dans la campagne, non sans soulever quelques commentaires du genre « Tiens, voilà le fou et son cochon » ou encore, « c’est pas beau deux frères réunis ! », propos dont je n’avais cure.

Ce furent les plus beaux mois de ma vie.

Il est vrai que d’un naturel plutôt renfermé, les amis qui passaient le seuil de la maison familiale n’étaient pas légion et je m’étais trouvé un tout autre ami en la présence de Groglouton, qui, malgré son aspect de plus en plus gras, n’en restait pas moins le compagnon le plus agréable que j’ai pu rencontrer.

Puis vint l’hiver.

Mes parents, pensant que je n’étais pas dupe du sort qui était réservé à mon ami, ne prirent pas la peine de me prévenir de sa fin imminente et c’est un soir de début décembre que le tueur vint, avec ses instruments, pour tuer, comme tous les ans, le cochon.

Sauf que pour moi, il ne s’agissait plus d’un cochon quelconque, mais de mon cochon, et que je ne pouvais comprendre qu’on puisse en vouloir à cet être qui m’avait apporté tant de bonheur, tant de joies pendant ces mois.

Je pleurai, évidemment, je hurlai, je me débattis, quand, mes parents ayant pris conscience de mon attachement pour cet animal, me consignèrent dans ma chambre pendant l’exécution.

J‘entendis les cris de la pauvre bête, pas trop longs, le tueur était un pro, mais suffisamment pour que toutes les larmes de mon corps coulent comme si elles ne devaient jamais s’arrêter.

Le lendemain, après une nuit agitée, le soleil brillait dans le ciel, malgré le froid, et je me réveillai de fort bonne humeur, comme si rien ne s’était passé.

Je descendis de ma chambre et je surpris le regard de mes parents, s’attendant peut-être à une autre crise de ma part, mais rien ne vint.

J’avais faim.

Alors je me coupai une tranche de jambon, de ce jambon si bon provenant de Groglouton, et je le dévorai sans qu’aucune autre pensée ne traverse mon esprit que l’envie d’être rassasié.

Après trois tranches de jambon accompagnées de pain je me sentis mieux.

L’histoire de Groglouton était enfin digérée, si on peut dire…

Les années qui suivirent furent les plus belles et les plus bonnes de ma vie.

Il y eut de grands amis et de grands repas : Groglouton 2, 3, 4, 5…

 

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Mise à jour ; 12 mars  2005   Copyright © 2004, Les éditions Mélonic