Conte-5041

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Conte de Hervé Poirine, France

 

Madame, Mademoiselle, Monsieur,

J’ai la joie, par la présente, de vous faire part de mon décès survenu ce jour dans la plus grande abjection, les plus horribles souffrances et la plus grande solitude.

Comme, durant toute ma vie, j’ai été le pire des salauds, je pense que cette nouvelle ne pourra que vous satisfaire et que vous pousserez un soupir de soulagement en vous disant en votre for intérieur : enfin !

Oui, enfin ! Ca y est ! Il est mort, clamsé, ratiboisé, il sera bientôt bouffé par les vers, ses comparses, cet odieux personnage qui nous a pourri la vie, qui nous a mis plus bas que terre, qui a failli nous faire mourir avant lui, lui qui ne se nourrissait que de haine, d’hypocrisie, de mensonges, d’affabulations, de tours de cochons.

Lui qui n’a rempli sa pauvre vie éteinte que du malheur des autres, s’en est abreuvé comme à une fontaine d’eau fraîche, lui qui s’est désaltéré de ses magouilles, de ses tortures physiques et morales.

Lui qui n’avait pas l’once d’une pitié ni de tout sentiment de paix ou d’amour, de justice, d’honneur, de morale, rien qui pouvait le rendre humain.

Et bien, je suis mort, et vous pouvez être satisfaits.

J’ai souffert énormément, des douleurs abominables se sont répandues dans tout mon corps sans que quelque médicament puisse les faire taire ; je me suis tordu dans tous les sens pendant des jours et des jours, vomissant et hurlant ; je me suis vu me regarder dans un miroir et y voir apparaître cette image grotesque qu’avait créée la maladie dont aucun médecin, pourtant venus nombreux m’ausculter, n’avait découvert la provenance.

Cela dit, je les soupçonne de ne pas avoir voulu m’aider dans mon agonie, la haine que je leur inspirais étant tellement visible dans leurs yeux. Et comme je les comprends : la plupart d’entre eux étaient mes victimes.

Combien ont failli, par ma faute et ma méchanceté, finir par ne plus faire parti de l’ordre des médecins. C’est avec acharnement que je me vouais à leur perte, alors ce ne fut que justice que de les voir m’observer en prenant ce faux air compatissant et désespéré tout en souhaitant, et ça se voyait dans leurs yeux, que je souffre encore plus.

Ils ne furent pas déçus.

J’ai ressenti les premiers symptômes de la mort, et j’ai eu peur, oui, tout comme vous quand je décidais de m’intéresser de prêt à votre cas.

J’ai eu peur, j’ai angoissé, j’ai pleuré comme un enfant, j’ai crié pitié, mais nulle pitié n’aurait eu raison d’un être aussi abject que moi, car, même dans mon agonie, je ne regrettais rien de ce que j’avais pu faire, la jouissance de mes actes odieux, des familles que j’avais séparés, des couples que j’avais corrompus, des cerveaux que j’avais vidé de toute substance.

Puis elle est venue, doucement, insidieusement, elle a commencé son œuvre, la mort, la grande faucheuse.

Elle ne me voulait pas tout de suite, elle voulait que je sois diminué, elle m’a pris par petits morceaux, pour que je me rende bien compte de sa présence, elle m’a coupé en petits bouts, que je me rende bien compte de celui qui me manquait, et que je pleure sur mon sort, qu’avant de l’accepter, elle m’en coupait un autre jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien.

Ah ! Quelle douleur incommensurable m’a envahie tout au long de ces semaines, de ces mois !

Vous pouvez vous pourlécher, elle a bien travaillé !

Voilà, je suis mort et je suis sûr qu’aucun de vous ne viendra pleurer sur ma tombe ni apporter un bouquet de fleur.

De toute façon, mon corps a été découpé et jeté aux animaux de passage et il ne restera rien de ce que j’ai pu être, que même les vers que je citais n’auront rien pour leur repas, que je n’aurai même pas la joie de la putréfaction.

Mon nom a été effacé de l’état civil, ma vie n’est plus et c’est comme si elle n’avait jamais été.

Après tout, je n’en veux à personne.

Voilà, je vous ai tout dit, mais ça ne servira à rien puisque ces mots ne seront jamais lus.

Je vous prie de ne pas agréer, Madame, Mademoiselle, Monsieur, mes salutations non distinguées.

Je vous hais tellement.

 

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Mise à jour ; 12 mars  2005   Copyright © 2004, Les éditions Mélonic