Science-fiction et fantastique-5002

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Écrits de Stéphanie Châteauneuf, Canada

 

Voyage infernal

 

—Nous aborderons le chapitre sur les troubles de l'alimentation au prochain cours.  Sur ce, à la semaine prochaine, termina le professeur Henry Cavanagh.

 

  Au fond de la classe, David James enfouit précipitamment ses cahiers dans son sac à dos noir, le jeta sur une de ses épaules et sortit de la classe sans jeter un regard derrière lui.  Il se faufila entre les étudiants qui déambulaient dans le couloir exigu.

 

      Il poussa la porte menant à l’extérieur du pavillon de médecine de l'Université Laval.  Une fois dehors, il sentit une goutte d’eau s’écraser sur son nez.  Il commençait à pleuvoir. David avait oublié d'apporter un parapluie.  Il consulta sa montre Rolex.  Elle lui indiqua qu’il ne restait plus que cinq minutes avant que l’autobus passe devant son arrêt.  Il rabattit le capuchon de son pardessus et se mit à courir sans regarder autour de lui.

 

Il traversait la rue qui menait à l’abribus lorsqu’une voiture freina brusquement à deux mètres de ses pieds.  David se retourna et vit le conducteur la tête sortie de l’automobile et qui criait :

 

—Regarde des deux côtés, le givré!  Dégage que je puisse passer!

 L’étudiant transi par la pluie se hâta et put enfin se mettre à l’abri.  Il avait failli y rester!  La fatigue et le froid lui avait fait oublié sa vigilance.  Il se promit de faire plus attention à l'avenir.

 

À peine trente secondes d’attente plus tard, un autobus arriva en trombe sur la chaussée mouillée.  David eut juste le temps de voir qu’il s’agissait bien du sien lorsque celui-ci freina brusquement devant lui.  Les portes s’ouvrirent sur un vieil homme à l’aspect inquiétant.  Le jeune homme embarqua, présenta son laissez-passer au chauffeur qui lui dit :

 

—Bonjour, mon brave garçon, bienvenue dans mon monde! et il se mit à ricaner, révélant une bouche édentée.

 

Ses yeux semblaient vouloir sortir de leurs orbites et quelques cheveux hirsutes poussaient sur sa tête.  Effrayé par l’apparence physique du vieillard, David garda le silence et alla s’asseoir tout au fond du véhicule.

 

À l’extérieur la pluie martelait les vitres : poc poc, poc poc poc, poc poc.  Un éclair déchira le ciel obscurci.  L’autobus roulait à une vitesse trop élevée pour la chaussée mouillée.  David devait s’agripper au siège à chaque fois que l’autobus tournait un coin de rue.  Les autres passagers ne semblaient pas en faire de cas.  Ils étaient absorbés par les gouttelettes d’eau coulant le long des vitres ou par la lecture de quelque document.  Il se dit qu’il devait être trop fatigué et que c’était pour cette raison qu’il se sentait nerveux.  Pas étonnant après avoir failli se faire renverser par une voiture!  David n’avait qu’une envie : rentrer chez lui le plus vite possible. 

 

À 24 ans, il ne possédait pas encore d’auto.  Il avait passé son permis il y a quelques années, mais n'en avait jamais fait usage par la suite.  Les bouchons de circulation et la vitesse le rendaient anxieux.  Il n’était pas très doué pour la conduite et il le savait.  De plus, ses cours de psychiatrie lui coûtaient assez chers, il n’avait pas besoin de dépenses supplémentaires.  Ses parents n’étaient pas pauvres, mais ils n’avaient pas les moyens de payer entièrement ses études.  Son père travaillait comme facteur et sa mère occupait un poste de réceptionniste dans un hôpital pour enfants.  David avait aidé en occupant de petits boulots durant les vacances d’été.

 

 Il avait choisi la psychiatrie, car il avait toujours été fasciné par la complexité de l’esprit humain.  Il se demandait pourquoi certaines personnes perdaient un jour leur capacité de raisonner clairement.  Il voulait trouver un traitement pour les maladies dégénératives telles l’Alzheimer. 

 

Une manie lui était venue en étudiant toutes ces maladies du cerveau ;  il ne pouvait s’empêcher d’analyser les personnes qu’il voyait et se demander si elles étaient complètement saines d’esprit.  Il suffisait que quelqu’un répète souvent un mot ou une expression pour qu’il croit que quelque chose ne tournait pas rond.  David avouait lui-même avoir un comportement  paranoïaque.  Mais cela ne l’empêchait pas de poursuivre dans sa voie de futur médecin spécialiste des troubles mentaux.  Le cerveau paraît si fragile, songea-t-il alors que l’autobus avait parcouru presque la moitié du trajet. La moindre perturbation peut nuire à son développement.  Il soupira avec lassitude et ferma les yeux un instant pour les reposer un peu. 

 

Il se trouvait dans un état entre l’éveil et le sommeil lorsque le véhicule s’immobilisa, projeta David contre le siège avant en le tirant de ses rêveries du même coup.  Autour de lui, des sacs étaient tombés dans l’allée et des livres avaient glissé des mains qui les tenaient auparavant.  Un adolescent d’environ 15 ans, dont le baladeur s’était brisé lors de sa chute, s’exclama :

 

—Merde! Tu pourrais pas faire attention, espèce de vieux schnock?  Mon walkman est foutu!  Il grogna et s’enfonça dans son banc sans rien ajouter. 

 

L’autobus redémarra en trombe.  Le chauffeur, qui avait entendu la remarque du garçon, s’excusa :

 

—Je suis désolé, je n’avais pas vu le panneau d’arrêt.  La pluie nuit à mon champ de vision.  Veuillez m’excuser pour tous les désagréments que cela a pu vous causer.  Le gars lui montra un doigt d’honneur que le conducteur ne remarqua pas, trop occupé à se concentrer sur la route. 

 

Il a l’air d’avoir abusé de l’alcool, pensa David.  Son visage ridé est rougi et son nez gros comme une pomme de terre.  À cette idée, il fut prit d’un fou rire qu’il réprima aussitôt.  Il n’y avait rien de drôle à ce qu’un ivrogne conduise en état d’ébriété.  Il mettait la vie de tout le monde en danger.

 

La pluie gagnait en intensité.  Les gouttelettes s’étaient transformées en grosse gouttes, cognant les vitres à la manière de coups de poings : POC, POC, POC!  L’eau frappait le pare-brise si vite que les essuie-glaces ne fournissaient pas à la tâche.

Le chauffeur semblait éprouver de la difficulté à voir le chemin et l’autobus commençait à zigzaguer imprudemment. 

 

David se mit à angoisser lorsque le véhicule glissa pour sortir de la route.  Il paniqua quand celui-ci se dirigea droit vers un supermarché.  Au moment de l’impact, David perdit connaissance et ne ressentit pas la moindre douleur. 

 

Quelques minutes ou quelques heures plus tard,  le jeune homme entrouvrit les paupières.  Les images paraissaient floues, empreintes d’une sorte de buée.  Il se frotta les yeux et regarda autour de lui.  Il se sentait étourdi, il avait mal à la tête.  Il regarda autour de lui pour s’assurer que les autres passagers allaient bien.

 

Chose étrange, ils ne semblaient pas avoir été affectés d’une manière ou d’une autre par l’accident.  Ils étaient assis sur leur siège, calmes comme avant et ne paraissaient pas blessés.  Le chauffeur conduisait comme si rien ne s’était passé, aucune blessure apparente sur son corps âgé.  David demanda s’ils avaient eu un accident à une jeune femme assise proche de lui.  Elle le regarda avec étonnement et lui répondit que rien ne s'était passé. 

 

David se demanda s’il n’était pas en train de perdre la boule.  Il se dit qu’il avait imaginé tout ça parce qu’il était trop fatigué.  Il se cala confortablement dans son banc et attendit d'être arrivé chez lui. 

 

Trente minutes plus tard, il appuya sur la sonnette pour signifier qu'il devait descendre au prochain arrêt.  Arrivé devant la rue où habitait David, l'autobus poursuivit son chemin.   L'étudiant, frustré et fatigué cria d'un seul souffle :

 

—Hé! Arrêtez-vous!  J'ai sonné, vous avez dépassé mon arrêt!

 

Le chauffeur fit comme s'il ne l'avait pas entendu.  Il poursuivit son trajet sans s'arrêter.  David réalisa que personne n'était monté ou descendu de l'autobus depuis sa reprise de conscience.  Il devait savoir ce qui se passait, il voulait rentrer chez lui ce soir.  Ses parents devaient commencer à s'inquiéter, il avait plus d'une heure de retard.  Il devait souper avec eux.

 

Il se leva et se rendit à l'avant de l'autobus en se tenant solidement après les barreaux de métal.  Il trébucha en plein milieu de l'allée à cause d'un sac à main.  Il se releva, se retourna et vit la propriétaire de la sacoche le regarder avec de gros yeux.  David sursauta : son visage avait la couleur d'une craie.  On pouvait presque voir au travers.  Il s'excusa et lui dit qu'il ferait plus attention à l'avenir.  Il arriva enfin à la hauteur du chauffeur. Avec courage, il lança :

 

—Comment se fait-il que vous n'arrêtiez jamais?  Je veux descendre, vous avez dépasser mon arrêt d'au moins deux kilomètres!

 

—Je suis désolé, mon petit, répondit le conducteur avec un air désolé.  Tu vas devoir garder patience, car je ne peux pas m'arrêter.

 

—Pourquoi?  Vous ne pouvez pas nous garder contre notre gré! hurla David, rouge de colère.

 

—Nous sommes tous morts, avoua le vieil homme avec calme.  Nous sommes coincés dans cet autobus, condamnés à parcourir le même trajet pour l'éternité. 

 

—Non! Ce n'est pas possible!  Vous dites n'importe quoi!  Laissez-moi sortir!

 

David perdit son sang-froid.  Il se jeta sur les fenêtres, tira leur levier de secours et poussa: en vain.  Elles étaient bloquées!  Il projeta son poing contre une vitre.  Elle resta intacte : aucune douleur ne traversa sa main.  Un écran invisible l'empêchait de l'atteindre.  Ils étaient emprisonnés dans ce maudit autobus!  David ne voulait pourtant pas y croire, il y avait une explication rationnelle à tout.

 

Il regarda dehors pour voir s'il ne trouverait pas un indice qui confirmerait l'anormalité de la situation.  Il ne remarqua rien de spécial : le décor lui semblait familier.  L'autobus venait de passer dans ce coin à peine 30 minutes plus tôt!  Il tournait en rond!  L'anxiété de David monta d'un cran.  Ne pouvant plus se contenir, il hurla:

 

—On est coincés ici! À l'aide!

 

      Les autres passagers ne réagirent pas.  Ils avaient l'air malades avec leur teint blafard et leurs cheveux dépeignés.  Une apparence de morts!  David sentit qu'il allait être malade.  Pris de panique, il se rua à l'avant du véhicule.  Essaya d'ouvrir la porte en tirant avec ses doigts.  Impossible de sortir par là aussi.  Il observa le chauffeur, puis la route.            Un détail clochait.  L'autobus restait sur la bonne voie, mais le conducteur ne tenait pas le volant.  Il avait l'air d'être mû par une force invisible!  Le jeune s'évanouit de nouveau à ce moment-là.

 

      Quand David reprit conscience, il ne savait plus où il se trouvait.  Pas dans l'autobus, car aucun mouvement ne venait le secouer.  Il était entouré de quatre murs, si blancs qu'ils faisaient mal à l'œil.  Il était couché dans un lit surmonté de roulettes.  Un hôpital!  Pourtant, il ne se souvenait pas avoir été blessé dans l'accident.  Comment l'avait-on sorti du véhicule? Et les autres passagers, où se trouvaient-ils?  Est-ce qu'il était mort tel que le vieux chauffeur l'avait affirmé?  Tant de questions se bousculaient dans sa tête et venaient le ronger.

 

      Ses parents et ses sœurs vinrent le voir dans la soirée, accompagnés de ce que David croyait être un médecin.

 

      —Comment vas-tu mon chéri? lui demanda sa mère.  On s'est fait du souci pour toi.

 

      —Je me sens très fatigué, je n’ai plus d’énergie, mais à part ça,  ça va, répondit son fils.  Pourquoi me gardez-vous ici?  Est-ce à cause de l'accident?

 

      Sa famille se retourna vers le médecin, l'interrogant du regard.  Celui se racla la gorge, regarda David et lui annonça :

 

     

      —David, il n'y a pas eu d'accident.  Ce que vous m'avez raconté n'a pas eu lieu. Vous avez imaginé tout ce qui s'est passé ce soir, depuis le départ de votre école jusqu'à votre perte de conscience dans l'autobus.   Votre professeur a appelé une ambulance pour vous emmener ici ; vous vous cogniez la tête contre les murs et affirmiez que vous voyiez des morts. Vous  avez confondu le réel avec l'irréel: vous êtes atteints de schizophrénie paranoïde, une grave maladie du cerveau.

 

      —Voulez-vous dire que été victime d’hallucinations? La forte pluie, l'autobus, l'accident? Non! Je les ai vus!  Je ne suis pas fou! gémit l'étudiant en pleurant.

 

      —Ne vous inquiétez pas, le rassura le psychiatre.  Avec les antipsychotiques que je vais vous prescrire et une thérapie, vous pourrez menez une vie assez normale. Il y a des risques de rechute, mais beaucoup moindre si vous prenez correctement vos médicaments.  Il faudra que vous vous ménagiez, si vous voyez ce que je veux dire. 

 

      —Mon pauvre chéri, tu as toujours été si brillant, sanglota sa mère. 

 

            La famille de David le regardait avec pitié, comme un cinglé.  David se dit alors que ce qu’il avait imaginé, n’était peut-être pas un cauchemar comparé à ce qu’il devra maintenant endurer dans le monde réel.

 

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Mise à jour ; 12 mars  2005   Copyright © 2004, Les éditions Mélonic