Roman de Stéphane Lafaye
Les
terrifiants dossiers secrets de Paragon City : l’affaire « Monsieur
Social »
Prologue
L’homme gémit doucement en revenant à lui. Lorsqu’il sent les cordes qui
l’entravent et la cagoule qui l’aveugle, la panique le submerge et il
demande d’une petite voix plaintive :
- Mais qu’est ce que… Y a quelqu’un ?
- Ah… Vous êtes enfin réveillé, monsieur Barnes !
Le ton est grave et élégant. Profond. Pourtant il ne rassure pas Jim
Barnes, loin de là.
- Qu’est ce que je fais ici ? Qui êtes vous donc et pourquoi m’avez-vous
attaché ?
- Vous pouvez m’appeler Monsieur Social. Vous êtes ici pour recevoir une
Leçon.
- Une leçon ?! Mais enfin je ne sais même pas qui vous êtes, monsieur !
Vous avez manifestement commis une erreur sur la personne !
- J’en doute fort… Vous êtes bien James Robert Barnes, 43 ans, directeur
comptable à la Inner State Bank de Paragon, marié depuis 17 ans à Louisa
Barnes née Alvarez et père de trois jeunes garçons ?
- Oui c’est exact… Mais je n’ai pas beaucoup d’argent et…
L’étrange bruit de gorge amusé glace le prisonnier et une boule
d’angoisse vient bloquer sa gorge plus efficacement qu’un bâillon. Il
est tombé sur un fou ! C’est certain ! Il n’y a pas que de la moquerie
dans ce rire malsain, il y a aussi une forme de… jubilation. Barnes
tente de se souvenir des détails de cette émission l’autre soir… Celle
sur les tueurs maniaques… Qu’est ce que disait cet agent fédéral déjà ?!
Ah oui ! Surtout ne pas paniquer et maintenir le contact. S’humaniser à
tout prix au yeux du dingue pour qu’il considère sa victime comme une
personne à part entière et non pas comme une proie sans âme, un morceau
de viande.
- Ecoutez monsieur…heu… Social… Je ne sais pas ce que je vous ai fait
mais je suis certain qu’on peut trouver une solution à votre problème.
Je ne veux pas d’ennuis. Je veux juste retrouver ma famille et ma vie
tranquille. Détachez moi et j’oublierai toute cette histoi…
- Je crains au contraire que vous n’oubliez pas « cette histoire » de si
tôt, monsieur Barnes… coupe la Voix. C’est même le but de la Leçon,
voyez-vous !?
- Mais enfin merde, panique le comptable. QU’EST CE QUE VOUS VOULEZ A LA
FIN ???
- Voilà enfin une question pertinente, monsieur Barnes ! reprend
l’autre, professoral. Je souhaite vous apprendre à vous comporter comme
un citoyen responsable. J’ai pour ambition de vous socialiser ! Vous et
toutes ces larves Paragonienes qui ont oublié jusqu’au plus naturel élan
de savoir-vivre.
- Qu’est ce que c’est que ces conneries !!! explose Barnes, incapable de
se maîtriser plus longtemps. Je suis un employé sans histoire avec une
famille sans histoire !
- Oui mais vous avez une voiture !
- Et alors ?! C’est un crime maintenant d’avoir un véhicule ?!
- Non bien entendu, glousse la Voix. Par contre, se garer sur les places
réservées aux handicapés est un comportement résolument anti-social,
monsieur Barnes !
- Allons mon vieux, tout le monde le fait… lance spontanément le pauvre
ligoté.
- Je vous l’accorde ! grince la Voix. Et je suis ici pour m’assurer que
tous les Barnes de Paragon y réfléchiront à deux fois avant d’adopter à
l’avenir une telle nonchalance à l’égard des parkings réservés…
Le ton vient de changer. Il reste calme mais une violence sadique
commence à apparaître derrière le phrasé châtié. C’est en gémissant que
James Robert Barnes demande :
- Mon Dieu… Qu’est ce que vous allez me faire… ?!
- Simplement vous permettre de pouvoir occuper ces emplacements réservés
en toute légalité. Si vous parvenez à conduire un jour après la Leçon…
- Par pitié non…
Barnes n’a pas le temps d’achever sa phrase. La supplique est noyée dans
le grésillement métallique de la scie chirurgicale que son tortionnaire
vient d’enclencher. Ensuite, viennent les hurlements…
Chapitre 1 : Kirby
Il n’a
passé la trentaine que d’une poignée d’années mais ses cheveux
prématurément blanchis lui en font paraître dix de plus. Son visage est
dur, brutal. La mâchoire carrée et le nez épaté par les fractures
répétées mal réduites lui donnent un coté mauvais garçon que les femmes
apprécieraient si ce n’étaient ses yeux…
Deux puits de noirceur bleutée inexpressifs.
Comme morts.
Plus encore que sa large carrure, c’est sa réputation qui fait que ses
collègues s’écartent sur son passage malgré la foule grouillante qui
occupe déjà le hall du commissariat de police 17 alors qu’il n’est pas
encore neuf heures.
La plupart des flics sont jeunes – on n’exerce son métier à Kings Row
que si l’on est un novice qui n’a pas le choix de son affectation, une
vieille ganache plombée par les affaires de corruption ou un fou
furieux.
Jeunes policiers et vétérans regardent donc en silence l’unique
représentant de la troisième faction pénétrer dans son bureau et lancer
son long pardessus de cuir sur l’unique fauteuil élimé des lieux qui lui
sert plus souvent de couche que le lit de son appartement privé. La
poussière épaisse soulevée par le lourd vêtement n’est pas retombée
qu’une grosse voix rocailleuse détruite par les cigares de mauvaise
qualité retentit dans le bureau :
- Salut Lieut’ ! On a une sale affaire à nouveau sur les bras…
- Le jour ou nous aurons une affaire propre ici, je me teindrai les tifs
en vert pomme, Mac ! répond le lieutenant Samuel Kirby sans se
retourner.
La saillie fait grésiller désagréablement la grosse voix rocailleuse,
preuve incontestable d’un amusement non feint. L’homme aux yeux morts se
retourne enfin. Il ne sourit pas. Le gros bonhomme suant engoncé dans
son uniforme mal repassé depuis que sa femme s’est tirée lui inflige par
contre un grand sourire faisant passer un bouledogue pour un top model.
- C’est Social, Lieut’. Il a encore frappé. Chez nous.
- Et merde… souffle Kirby. C’est quoi cette fois ci ? Une vioque noyée
dans un cabinet parce qu’elle avait osé laisser son chien débourrer sur
un trottoir ?
- Pas loin, Lieut’, pas loin… Il a tronçonné les guitares à un comptable
qui se garait sur les places pour handicapés.
- Il devient créatif, le fêlé ! Le mec est canné ou pas ?
- Si on veut…
- Mac, commence pas à m’emmerder s’il te plait. A part ces tarées
d’Abominations Vahzyloks et autres joyeusetés dont notre très chère
ville a le secret, les citoyens sont généralement morts ou vivants mais
pas les deux.
- Ben disons que concernant la victime, ce qui reste du corps est vivant
mais il aurait comme qui dirait le ciboulot en purée. Le pauvre gars a
pas résisté au traitement et il est devenu complètement maboule.
- Ca va pas aider pour l’enquête…
- Ca va pas aider non plus sa famille. Le type a trois moufflets…
Le sergent Fred Mac Manus essaie encore un coup.
Oh, il ne se fait pas d’illusions mais il ne risque rien de toute façon.
Depuis trois ans qu’il travaille avec Kirby, il ne l’a jamais vu
s’apitoyer sur qui que ce soit. Criminel ou victime. Même les pires
affaires ne semblent pas l’affecter. Et ça, ça dérange beaucoup le vieux
flicard qui n’est jamais parvenu pour sa part à supporter toute cette
horreur…
Il admet que ce lieutenant est le meilleur officier de police qu’il ait
jamais côtoyé - et Dieu sait qu’il en a vu passer dans ce foutu
purgatoire qu’est le Com’17 !!! – mais son absence d’humanité, Mac n’a
jamais pu s’y habituer. Alors il continue à y aller de son couplet. Par
habitude, sait on jamais…
- Les mômes ont vu quelque chose qui pourrait nous être utile ?
- Non Lieut’ ! L’agressé - monsieur james Barnes - a été attaqué et
enlevé dans le parking de la banque.
- Alors pourquoi tu me les brises avec ses mioches ?!
- Comme ça… Pour voir…
- Pour voir quoi ?
- Pour voir si le fait d’apprendre qu’un mec mutilé vivant et rendu fou
par la douleur avec une femme et trois petits bonhommes pouvait te
rendre… humain, Lieut’.
- Je ne suis pas payé pour être « humain », navré Mac. J’essaie juste
d’être efficace et d’éviter à un autre monsieur James Barnes te tomber
entre les mains de Monsieur Social ou d’un fondu dans le style.
- Ca empêche pas la compassion…
- Si je fais preuve de pitié, ton foldingue découpé retrouvera la
raison ?
- Ben non…
- Ca lui fera repousser les guibolles ?
- Pfff…
- Bon alors viens pas me saouler la vie avec tes conneries et amène moi
plutôt le dossier de Social, ça t’occupera ! T’as réussi à récupérer les
données des agressions qui se sont déroulées dans les autres secteurs et
qui seraient son œuvre ?
- Ouais. Il a fallu tirer quelques oreille mais tout est déjà sur ton
bureau… Comme le premier carnage avait eu lieu chez nous et que nous
avons la joie d’avoir récupéré sa dernière création, tu coordonnes
l’affaire. C’est officiel.
- Bon…Merci beaucoup, Mac !
- On lui dira ! lance le vieux en sortant du bureau, un peu plus voûté
qu’en arrivant.
Le reste de la matinée passe aussi tranquillement qu’il est possible
pour un endroit comme le Com’17. Trois lancés de cocktail Molotov sur la
façade par des Hellions défoncés – ou de Skulls, on ne sait même plus -
une quarantaine de plaintes diverses et variées et une hécatombe en
pleine rue suite à une « explication » entre des Horns et des Losts.
Malgré l’agitation, le lieutenant Sam Kirby est parvenu à relire et
analyser l’affaire Social et il n’aime pas du tout les conclusions
auxquelles il arrive. Si on en croit les différents rapports, il était
impossible à ce boucher de commettre en une heure les deux agressions
qui lui sont reprochées le 18 avril. Les deux scènes de crimes sont
beaucoup trop éloignées l’une de l’autre…
Kirby masse ses tempes douloureuses, les yeux fermés.
Pour qu’un mec soit presque simultanément à deux endroits à la fois, il
n’y a pas des masses d’explications : soit il y plusieurs Monsieur
Social, soit ce fumier est non seulement un sadique dégénéré mais il a
en plus des putains de Super-Pouvoirs.
Sans compter le pire des scénarios : un mixe des deux hypothèses…
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