Roman de Stéphane Lafaye
Les
terrifiants dossiers secrets de Paragon City : l’affaire « Monsieur
Social »
Chapitre 4 : Roxy
Ils sont jeunes. Certains sortent tout
juste de l’adolescence. Mais tous ont déjà dans le regard cette
lueur propre aux survivants. Ils sont une des manifestations physiques
d’une gangrène insidieuse qui dévore les Etats-Unis d’Amérique de
l’intérieur depuis bientôt trente ans et qui a pour nom la misère. Dans
un pays ou la classe moyenne s’effrite et où seule une poignée de nantis
de plus en plus restreinte se partage les richesses les plus colossales
de la planète, ils sont la conséquence visible d’un déséquilibre, les
métastases obligatoires d’un cancer social sans précédent. C’est une
meute de loups qui n’a rien à perdre et qui ne respecte personne en
dehors des plus impitoyables de ses chefs bien qu’elle n’hésitera pas à
les mettre en pièces à la moindre défaillance. Ils ont recréé une
micro-société sauvage aux règles barbares et sanguinaires où l’on ne
meurt pas de vieillesse. Ils sont présents sur tout le continent et si
les noms varient, la culture reste la même : prendre à ceux qui ont
encore quelque chose à prendre et qui ne sont pas en mesure de se
protéger efficacement.
A Paragon City, on les appelle les Skulls.
Et le masque à tête de mort est leur emblème.
Depuis bientôt deux mois, le quartier de Kings Row, fief des Skulls, est
embrasé par une guerre impitoyable sans précédents. Hellions et Losts
tentent de renforcer leur présence dans le secteur depuis trop longtemps
et les Skulls vont leur apprendre qui fait la Loi. Déjà que ces déchets
de Vahzyloks ont compris leur douleur lorsqu’ils ont ramassé sur le
museau les gangs des Skulls et des Trolls unis pour l’occasion, il ne
faudrait pas maintenant relâcher la pression. C’est en tout cas le
message que BoneBreaker a fait passer à la meute. Et on ne contredit pas
Bonebreaker, à moins d’être suicidaire…
La gamine se trouve à l’arrière du groupe qui pénètre dans le vieil
immeuble de brique désaffecté. Les filles sont rares dans les groupes de
combat mais elle a prouvé qu’elle y avait sa place en se débarrassant
des trois violeurs qui l’avaient acculée à son arrivée dans le Gang. Que
les agresseurs aient été des Skulls n’a eu aucune incidence sur la
décision. En temps de guerre totale, on ne prend pas le temps de
s’apitoyer sur les camarades tombés. On les remplace. Si possible par
leurs assassins.
Kneecracker – le Leader du groupe – est « un vieux » selon les critères
en vigueur dans les bandes. Certains vont même jusqu’à dire qu’il aurait
dépassé la trentaine mais légendes et exagérations sont monnaie courante
dans la rue. Knee aime bien la gamine. Elle est rusée et pragmatique.
Pas stupidement cruelle comme la plupart des pauvres débiles qui
composent son groupe. Sans aller jusqu’à tisser des liens amicaux avec
elle – il ne faut pas non plus abuser car l’amitié rend faible et la
faiblesse est la cause principale de mortalité chez les meneurs Skulls –
il connaît son nom de guerre.
Roxy.
C’est joli.
Chez les nanas qui se la donnent en baston, c’est plutôt « Mangeuse
d’hommes » ou « Casse-Noisettes » alors ça change.
Bon bien sur, c’est pas son vrai prénom mais c’est joli.
La fille aussi est jolie. Elle n’a pas encore le visage marqué par les
bagarres répétées et la longue mèche auburn qui masque partiellement son
charmant minois boudeur lui donne un charme indéniable. Lorsque la
guerre sera terminée – et en attendant la prochaine - Knee se dit qu’il
aimerait bien se taper la mignonne – mais gentiment - et ça le fait
sourire de voir qu’il est encore capable de penser à baiser malgré
l’anxiété qui lui noue les tripes.
Il sait que cette mission est pourrie.
Cet enfoiré de Clavicule ne l’a pas envoyé ici avec ses gars par hasard.
Deux autres groupes qui patrouillaient dans le coin ont disparu sans
laisser de trace et Clavi lui a demandé d’aller jeter un œil car « il
avait confiance en lui ! ».
Tu parles !
La main droite de ce foutu tondu borgne se méfie probablement de la
gauche…
Il espère certainement que Knee se fera estourbir. Il n’a pas digéré la
bataille de High Park où Knee s’était particulièrement illustré. Chez
les Skulls, la renommée n’est pas une denrée extensible : si on en
jouit, c’est obligatoirement parce qu’elle manque à quelqu’un.
Cependant, Kneecracker est un garçon aussi prudent que courageux et il
ne se laissera pas faire. Non seulement il va découvrir ce qui est
arrivé à ses camarades mais surtout, il en sortira grandi et défiera
Clavicule une fois rentré au camp principal. Puis il le tuera. Ca
servira de leçon aux autres Leaders qui envisageraient de le prendre
pour un con à l’avenir.
La conversation en provenance de l’étage sort Knee de ses pensées
joyeuses et il s’arrête, le poing fermé et le bras dressé pour signifier
au groupe le silence absolu. Ses soldats sont idiots mais disciplinés.
Paradoxalement, les Skulls sont plus obéissants qu’une milice privée et
leur organisation de fer surprendrait plus d’une officier de l’armée
régulière. Que la mort immédiate soit la sanction de la désobéissance
explique probablement cette rigueur étonnante. Sans un bruit, le chef de
groupe avance jusqu’à être en mesure de comprendre la discussion, la
meute silencieuse et mortelle sur ses talons. Normalement, le jeune
leader se fout pas mal de ce que ces futurs macchabées peuvent bien
dégoiser. Seules les voix comptent, car les voix indiquent le nombre
d’adversaire et ce genre d’information fait souvent la différence entre
la victoire et la mort. Pourtant cette fois, il sent immédiatement que
l’affaire est d’importance et tend l’oreille avec attention.
- Elle sait… grince la voix étrange en haut de l’escalier pourri. Elle
nous a vu en pensées…
- Je l’ai immédiatement neutralisée. Elle ne peut pas avoir eu le temps
de prévenir qui que ce soit, répond une seconde voix, féminine mais tout
aussi désagréable.
- Combien de temps durera le verrouillage maintenant qu’elle est hors de
portée d’après toi, pauvre idiote ?
- Ne m’insulte pas, Marchand de Sable… menace sur un ton joyeux la voix
aiguë. Sinon je fais exploser le crâne de cet hôte que tu as eu tant de
mal à trouver.
- Je te prie de m’excuser, Maîtresse d’école. C’est simplement que la
stupidité de nos compagnons me fait bouillir… Notre succès dépend de
notre capacité à rester dans l’Ombre. Lorsqu’ils sauront la vérité, Ils
n’auront de cesse que de nous traquer et de tous nous exterminer !!!
- Chaque jour qui passe nous rend plus puissants… Un peu de patience et
quand nous frapperons, personne ne pourra plus nous arrêter !
- Justement !!! Monsieur Social doit cesser ses enfantillages tant que
nous ne sommes pas prêts !
- Son hôte est plus puissant que nous ne l’avions imaginé… Il est
parvenu à développer une inquiétante symbiose avec Social. Je serai bien
en peine de déterminer aujourd’hui qui se sert de l’autre.
- Alors il faut nous débarrasser de lui à tout prix ! Nous étions
d’accord ! Nous devions nous limiter aux exclus et aux asociaux tant que
nos pouvoirs n’avaient pas atteint leur apogée. Affronter des Héros
maintenant est trop aléatoire. Certains disposent d’une puissance
insoupçonnée…
- Je sais cela. C’est pourquoi dés le retour du Croquemitaine, nous
reprendrons la traque. Et nous raisonnerons Social lorsque nous l’aurons
trouvé. Ou bien nous le tuerons !
Captivés par la conversation, Knee et ses hommes n’ont pas prêté
attention à l’entrée. C’est pourquoi la trentaine de Skulls sursaute
comiquement avec un bel ensemble comme des gamins pris en faute lorsque
la voix nasillarde retentit :
- Coucou les enfants, je suis le Croquemitaine ! Marchand, Maîtresse,
descendez voulez-vous, il y a ici tout un tas de vilains marmots occupés
à vous espionner alors qu’ils devraient pourtant être au dodo à une
heure aussi avancée !
Kneecracker n’a pas besoin d’expliquer à ces hommes ce qu’il attend
d’eux : un non-Skull sur le territoire des Skulls est un ennemi. Et les
ennemis des Skulls doivent périr, c’est aussi simple que ça. L’arrière
garde se jette sur l’étrange apparition qui bloque l’accès vers la
sortie. Aucun membre du Gang n’ignore qu’on prépare toujours sa retraite
éventuelle lorsqu’on va au combat. Cette espèce d’étrange épouvantail
enveloppé dans des guenilles déchirées leur barre la route vers un
potentiel repli, il doit donc être éliminé en priorité.
Les armes à feu sont pointées sur la poitrine du type en haillons et
elle retentissent une seconde avant que les spécialistes de l’arme
blanche n’arrivent au contact. Les Skulls sont habitués aux héros
« blindés » et cette technique permet de déstabiliser l’adversaire le
temps que les « découpeurs » arrivent au contact et trouvent les failles
de l’armure. Quoi qu’avec sa drôle de trombine, ce mec est bien capable
de ne même pas porter de protection.
Perdu !
Les plombs spécialement traités des fusils à pompe d’assaut ne font même
pas reculer la cible. Contre toute attente, ils le traversent comme si
son costume en loques puantes n’abritait que le vide et font exploser le
chambranle de la lourde porte renforcée qu’il a fermé derrière lui. Les
tireurs ne sont pas remis de leur surprise que leurs camarades équipés
de machettes et autres battes lestées sont sur la cible.
Le premier Skull à porter un coup est un colosse à la férocité
légendaire répondant à l’adapté patronyme de Boucher. Il plonge ses deux
hachoir à la larme noircie par le sang de ses victimes innombrables
droit sur le torse découvert du Croquemitaine qui ne bouge pas d’un
pouce. Les armes et les poings de l’agresseur disparaissent dans le
fatras de tissus recouvrant l’étrange bonhomme.
Et Boucher se met à hurler !
Hystériquement !
D’une surprenante petite voix haut perchée qui commence à déclencher une
véritable inquiétude dans les rangs de ses compagnons.
Lorsqu’il retire ses mains du tas de torchons crasseux ou elles étaient
plongées jusqu’au poignets, les Skulls constatent avec effroi qu’il n’y
a plus que deux moignons sanguinolents qui projettent des filets
écarlates puissants et d’où percent quelques esquilles d’os brisés.
- Mes mains, geint pitoyablement Boucher en regardant la pulpe de ses
avant-bras avec horreur. Dedans… Ca a mangé mes mains…
Puis il bascule en avant, terrassé par l’hémorragie.
- Venez à moi, les petits enfants !!! raille le Croquemitaine.
La créature au costume en lambeaux se jette alors sur les Skulls
terrifiés en ricanant, engloutissant le garçon le plus proche dans ses
immondes oripeaux qui s’agitent comme s’ils étaient vivants .
Le groupe de tête n’est pas plus à la fête. Une vieille femme au visage
revêche dans sa sombre tenue stricte se tient au milieu de l’escalier.
Elle continue nonchalamment à descendre puis pointe une ridicule règle
en bois sur eux et lance d’un ton sec :
- Vous n’avez pas fait vos devoirs, vilains garnements !
Les ricanements idiots déclenchés par une annonce aussi grotesque dans
une telle situation s’étranglent dans les gorges des Skulls quand une
dizaine d’entre-eux tombe comme des sacs de viande en se tenant le
crâne, la bouche ouverte de douleur sur un cris muet.
Knee sait qu’il doit réagir sinon la panique va submerger le groupe et
sans cohésion, il n’auront aucune chance contre des monstruosités
pareilles. Si tant est qu’ils en est une…
- Flinguez la !!!
Le vacarme des armes retombent aussi vite qu’il s’est déchaîné quand les
jeunes sauvages constatent que les projectiles sont déviés par un champ
de force psychique. Les Skulls sont habitués à ces satanées protections.
Bon nombre de Héros en utilisent contre les attaques à distance. Ils
savent aussi qu’un champ de force ne gardera pas la vieille d’une
attaque au corps à corps. Lorsque Knee gronde « Tous sur la vioque !!!
Massacrons la ! » en dégainant son coutelas cranté, les vétérans du
groupe se sont déjà élancés vers la maigre silhouette.
- Vilain garnement ! glousse la mégère sans montrer la moindre panique
alors que la meute est sur elle.
Rien ne semble pouvoir stopper les machettes qui s’abattent sur le crâne
émacié lorsque la tempête surnaturelle se déchaîne. Projeté avec une
vélocité impensable, les milliers de grains de sable percutent les
assaillants comme autant de minuscules projectiles. Les tenues de combat
sont arrachées des corps comme si les malheureux Skulls étaient passés
au papier de verre, les masques grimaçants sont arrachés comme du
papier. En un instant, c’est la peau qui part en lambeau puis les
muscles à vif apparaissent dans un magma de sang et de matières gluantes
projetées dans toute la pièce.
- Bonne nuit les petits, pontifie avec un amusement non feint le
Marchand de sable en se recomposant derrière l’horrible Maîtresse
d’école comme s’il surgissait du néant.
Un coup d’œil a suffit a Knee pour comprendre que la route s’arrêtait
là. Toute retraite est coupée et l’accès à l’escalier tout aussi
encombré. Il sait maintenant ce qui a tué les guerriers disparus et il
est assez lucide pour comprendre qu’ils n’ont pas une chance d’en
réchapper. Il ne pense pas un instant à supplier les créatures pour
qu’elle les épargne. Pas plus que ses camarades qui se font tailler en
pièces mais continuent à attaquer. C’est quand il pense avec regret
qu’il ne fera jamais un câlin à la petite Roxy qu’il se rend compte
qu’imaginer la gamine transformée en bouillie pourpre lui est
insupportable. Fiévreusement, il la cherche du regard dans la mêlée
devenue générale qui a transformée l’entrée du vieux bâtiment en
abattoir. Flanquée de deux survivants mal en point, elle est au prise
avec le Croquemitaine, esquivant les loques mortelles dardées sur elle
avec une grâce féline. Distrait, Knee ne voit pas le Marchand de sable
s’effondrer à nouveau sur lui même, déchaînant pour la seconde fois la
tempête écorcheuse. La silice mortelle se déverse et touche le chef du
groupe maintenant plus que réduit à l’épaule droite, lacérant la chair
jusqu’à l’os. Réprimant la nausée qui le submerge, Knee ramasse le fusil
à pompe et engage une cartouche blindée de son bras valide avant de
hurler :
- ROXY !!! LA PORTE !!! MAINTENANT !!!
Le projectile frappe miraculeusement la serrure, arrachant le loquet et
projetant la porte en arrière à l’instant même ou la gamine passe entre
les jambes du Croquemitaine d’un roulé-boulé parfait. Le temps que le
Monstre ne réagisse, la petite silhouette est à nouveau debout et
s’engouffre par l’ouverture, disparaissant dans la nuit, coudes au
corps.
- Vilaine fille, gronde la Maîtresse d’école en accentuant son attaque
psychique – les dents serrées dans un rictus sadique - jusqu’à faire
exploser la tête de ses cibles comme des fruits pourris.
- Je vais m’assurer que cette petite taquine fait dodo. Définitivement…
lance le Marchand de sable en disparaissant dans un nuage poussiéreux
ocre qui s’écoule à une vitesse hallucinante à la suite de la fuyarde.
- Nous punissons ces enfants décidément bien agités en t’attendant,
Marchand ! conclue le Croquemitaine en étendant ses haillons sur les
Skulls terrifiés. Mais surtout, prends ton temps…
Protégé par la demi-douzaine de soldats survivants, Knee ressent un
terreur abjecte nouer ses entrailles. Autant il s’était habitué à l’idée
de mourir, autant rien ne l’avait préparé à rejoindre le néant de cette
façon là. Lorsque son lieutenant lui demande « Knee… Putain qu’est ce
qu’on fait, chef… » il se surprend lui même en s’entendant
répondre malgré la trouille immonde qui le submerge :
- Nous avons vécu comme des loups, mourrons au moins comme des Hommes !
Le visage baigné de larmes, Roxy court droit devant, sa vitesse décuplée
par la panique. Elle connaît bien le quartier et elle n’aurait
d’habitude aucun doute sur ses chances de semer un poursuivant. Mais
ces… choses… sont très différentes de ses adversaires habituels. Qui
sait de quels pouvoirs stupéfiants ils peuvent encore disposer ? Alors
qu’elle va tourner dans une ruelle, la gamine s’arrête net, se ramasse
sur elle même et bondit en l’air, accrochant de justesse le dernier
barreau rugueux de l’échelle de sécurité qui surplombe la ruelle. Sa
réaction a été instinctive. Depuis qu’elle s’est découvert cette étrange
faculté à pressentir le danger, elle n’a jamais chercher à en analyser
l’origine. Elle l’utilise, c’est tout. Et son instinct lui dit qu’un
péril pire encore que ce qui la pourchasse arrive en face. Totalement
immobile, elle n’ose plus faire un mouvement et se balance lentement,
les bras douloureux, priant elle ne sait trop qui pour que ces monstres
ne lèvent pas la tête. La rouille perce sa paume douloureusement et elle
craint que le métal pourri ne cède ou que le sang qui commence à engluer
ses doigts ne fasse glisser la prise. La voix qui se manifeste alors un
mètre sous ses pieds déclenche en elle une telle terreur qu’elle manque
de lâcher le barreau délibérément pour se boucher les oreilles et ne
plus avoir à supporter ces sons qui déchirent son âme.
- Bonsoir, Marchand, mon ami !
- Social !!! Maudit sois-tu, c’est donc ton aura qui m’a fait perdre ma
proie !!! Ta noirceur malsaine irradie tellement de ta personne qu’elle
noie tout ce qui t’entoure ! Décidément tu deviens bien plus une gêne
qu’un allié… As tu croisé une petite fille apeurée ? Je la traque…
- Non. Personne. Mais j’avoue me préoccuper asses peu des enfants… J’ai
une tâche plus noble à accomplir.
- Justement oui !!! Tant pis pour cette vilaine peste… De toute façon
personne ne la croira ! Rentrons, Social. Nous avons à parler de ta
croisade personnelle et des dangers qu’elle fait courir à notre
entreprise.
- Dangers ?! Je me contente simplement de remettre un peu d’Ordre dans
cette ville gangrenée par les citoyens mal élevés, rien de plus.
- Oui, oui… certes. Mais viens avez moi. Rentrons. La Maîtresse d’école
et le Croquemitaine seront enchantés de te voir à nouveau parmi nous.
- Plaisir partagé ! La bonne compagnie se fait rare…
Incapable de réagir, Roxy reste encore suspendue jusqu’à ce que ses
muscles la trahissent. Elle tombe lourdement à terre, le souffle court,
les yeux fous. Lorsqu’elle se relève enfin, elle frémit de frustration :
la créature a tort ! Les Skulls la croiraient. A Paragon City, les plus
impossibles explications font bien souvent figure d’évidence. Le
problème ne sera pas une question de crédibilité mais de pure politique.
Sans l’appui de Knee, elle ne survivra pas assez longtemps pour
s’expliquer. Elle s’est attirée beaucoup d’inimités au sein de la meute
et son inespéré replis sera considéré comme de la lâcheté en combat.
Revenir vivant sans ses chefs ne pardonne pas chez les Skulls !
En un instant, la redoutable Roxy redevient une petite fille fragile et
apeurée. Sans un Gang pour veiller sur elle, sans compagnons à assister,
elle ne survivra pas une semaine. Le crâne grimaçant tatoué au couteau
sur son omoplate rend impossible l’intégration dans un autre groupe.
Elle n’est plus qu’un morte en sursis. L’angoisse de la solitude la
terrasse et elle en vient à regretter de n’être pas restée avec ses
camarades dans l’immeuble crasseux. Puis elle reprend espoir. La chance
pour que son idée fonctionne est infime car la guerre qui embrase
constamment Kings Row fait autant de victimes chez les forces de l’Ordre
que chez les voyous. Il est probablement mort, victime de sa fougue
naturelle. Mais c’est la seule option qui lui reste de toute façon.
Pareille à un chaton apeuré, Roxy sort de la ruelle et se coule d’une
zone d’ombre à une autre jusqu’au visiaphone blindé. Elle compose le
numéro qui représente tout ce qu’elle a combattu depuis son entrée chez
les Skulls en priant pour que la liaison capricieuse aboutisse.
Lorsqu’elle entend « J’avais dit de ne pas me faire chier !!! C’est
qui putain ? », elle prend sur elle pour ne pas hurler et répond juste
d’une petite voix tremblante :
- Lieutenant Samuel Kirby ?
- Ca va pas être Miss Liberty…
- Sam… C’est Mélanie… J’ai besoin de toi, grand frère…
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