Essai-5002-3

Catégories Auteurs Récompenses Actualité Statistiques

 

Essai de Rudi Dissler, France

 

MIROIRS

Le fuyard, Sarah, Maman, Épilogue

 

Maman

             

“Ah ! Que je la revoie ainsi diminuée, la joue colorée

d’un rouge qui lui venait de la jalousie et de la fureur !”

                                                 

(Colette, La Naissance du jour).

 

 

            Le soleil brûle les coteaux. La terre grince du chant des sauterelles. Au loin implacable luit la mer.

            Une petite maison grise entourée d’oliviers.

            Un escalier de pierre, et quelques fleurs fanées.

            Un pot fêlé qui laisse échapper sa terre comme un blessé son sang, un couloir étroit et sombre.

            Une porte close.

            D’un côté de cette porte, il y a la mère, de l’autre, sa fille. La première est assise sur un tabouret, dans l’ombre froide du couloir. C’est une silhouette sèche et tourmentée. Une face dévorée par le temps où seuls deux grands yeux luisent. Un rai de lumière filtre et laisse voir sa main ridée, aux ongles jaunis par la nicotine. L’autre, c’est Sarah. Elle s’est laissé glisser le long de la cloison et sent le froid du carrelage monter dans son corps. Elle disparaît fragile dans le froid de la pièce.

 

Maman : Comment vas-tu, ma fille ? J’ai été trop longtemps sans nouvelles. Depuis ce jour d’Automne où tu as disparu, en montagne. Ne sois pas bête, ouvre donc cette porte. Ne renifle pas. Ce jour-là, on en a parlé à la télévision. Il y a eu trois morts, ce jour-là, dans ce petit village de Savoie. Trois morts dont un enfant qui n’avait pas dix ans. C’est beaucoup, ne trouves-tu pas ? Alors lentement l’idée s’est faite que tu pourrais y être pour quelque chose. Et pour quelque chose aussi dans la disparition d’Emile. En fait, c’est drôle : où que tu passes il n’y a que des morts. Tu te terres dans ton trou de soleil et regardes la mer. Ne vois-tu pas leurs faces, tourmentées par les vagues ? N’entends-tu pas leurs cris, roulant dans les embruns ?

Sarah : Que me veux-tu ?

Maman : Que tu ouvres cette porte. La justice est mal faite : elle ne t’a pas punie. Ouvre donc cette porte. Ouvre à cette vieille femme qui veut te cajoler de sa vieille main plus froide que la mort. Ton âme brûle. Je vais t’apaiser, comme lorsque tu étais petite. Te chanter une berceuse pour t’endormir.

Sarah : Pars, Maman. Laisse moi !

Maman : Non, non, ma fille. Je veux te tenir compagnie dans ce qu’il te reste à vivre. Comment est mort Emile ? Et l’enfant ? A-t-il crié ?

Sarah : Je ne l’ai pas tué !

Maman : Tais-toi. Ouvre donc cette porte. S’il te plaît. Tu cries ? Tu as peur ? Ouvre donc cette porte : je viendrai de réconforter.

Sarah : Je n’ouvrirai pas. Pars ! Vas-t-en !

Maman : Ne fais pas ta butée. Ouvre donc à ta Maman. Ouvre donc cette porte. Te crois-tu innocente au point de pouvoir vivre ? Me crois-je innocente au point de ne pas devoir te châtier ? Ma main serre ce couteau de cuisine, ma Sarah. Mes doigts sont crispés sur son manche. Le souffle rauque du vent qui siffle par la baie ouverte et éteint tout bruit ne m’atteint plus...

Sarah : Arrête... Maman...

Maman : ... Je ne sens plus, je ne vis plus, j’ai donné naissance à un monstre ! Un monstre ! Arrête de geindre ! Arrête de pleurer ! Arrête de hurler contre ta pauvre porte ! Tu les as tués ! Tu as tué ! A ton tour de mourir ! Nous n’avons rien d’autre que notre vie. Le mal ne reste jamais impuni car toujours une vieille femme, aux mains tremblantes, aux doigts jaunis, vient demander des comptes...

Sarah : Pitié... Laisse-moi...

Maman : ... Ouvre donc cette porte, petite fille. Dehors il fait déjà nuit et c’est le temps des ombres. Je suis déjà une ombre et me noie dans la nuit. La terre s’est tue. Tout attend que je te tue. Tout attend que tu les rejoignes. Chut... Endors-toi. Laisse-toi aller. N’aie pas peur. Tu es encore là, je le sens et l’entends par quelques petits grattements, derrière la cloison. Calme-toi... C’est drôle, ce silence angoissé qui succède à tes supplications. Drôle ! Ouvre donc cette porte, ma Sarah. Viens donc goûter à ma caresse mortelle. Viens... Abandonne-toi...

Sarah : Non... Non...

Maman : ... Ta serrure ne résistera pas longtemps à mon couteau, ma fille... Bientôt, tu entendras le penne grincer dans la cloison... Puis lentement tu verras la clenche pivoter, lentement... Sans bruit alors la porte pivotera et tu sentiras l’odeur de la mort de prendre à la gorge... Odeur de tabac froid et de linges confinés... Mon odeur... Tu crieras, à moins que tu ne sois trop faible pour cela... Alors tu sentiras, ma fille, glisser contre ta peau la lame effilée d’un poignard.

           

Le fuyard, Sarah, Maman, Épilogue

Accueil Editions Partenaires Nous rejoindre

 

Mise à jour ; 12 mars  2005   Copyright © 2004, Les éditions Mélonic